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Pour en finir avec le « temps de travail » !

Lorsqu’on parle aujourd’hui de temps de travail, il faut commencer par déminer une notion qui a pris valeur de symbole. Les « 35 heures » ont desservi la réflexion, non pas tant en regard d’une volonté légitime de faire accéder plus de gens au travail, mais parce que s’est cristallisé autour de cette appellation, de part et d’autres, une forme de psychorigidité qui ruine même ce que l’idée pouvait avoir de positif.

La mobilité accrue, les Technologies de l’Information et de la Communication, le développement du travail à distance, les modes d’organisation agiles, la globalisation des échanges avec les 4 points de la planète, le coworking, l’évolution des mentalités et des équilibres humains différents… font voler en éclat cette notion archaïque de « temps de travail », du moins pour une très grande partie des actifs.

Une notion archaïque

Attention ! Ceci ne signifie pas qu’une personne ou une équipe n’a plus à tenir compte de la durée qu’elle passe à travailler, comme si elle était devenue taillable et corvéable à merci ! Cela ne signifie pas que l’homme doive vivre au rythme de ses outils, esclave partout et à n’importe quelle heure du jour et de la nuit ! Pas davantage de donner libre cours à cette logique du « toujours plus » par laquelle certains employeurs finissent par compromettre ce que le travail a d’humain. De profondément humain.

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Cela signifie en revanche que le « temps de travail » ne représente plus, dans la majorité des activités professionnelles, un outil de mesure valide de l’investissement personnel et collectif. Surtout lorsque nos pratiques franco-françaises nous poussent à confondre « temps de présence » et « temps de travail»!

Que d’heures de figuration inintelligente constituent le plus clair de notre activité quotidienne ! Le sport managérial le plus hype consiste parfois à lutter contre l’absentéisme, alors que le présentéisme n’a rien à lui envier en terme de coût et de désengagement !

Discerner les temps de vie

Ce que j’appellerai la modernisation du travail amène à considérer plusieurs temps dans notre vie, mais des temps qui s’imbriquent, s’interpénètrent, s’entre-déploient :

  • La séparation stricte entre le professionnel et le privé est idiote : je peux réfléchir 24h sur 24 à un problème professionnel tout comme à une question privée. Les technologies me permettent d’ailleurs en grande partie de traiter désormais l’un et l’autre partout où je suis. Pire encore : elles se servent mutuellement et se potentialisent !
  • La flexibilité du temps s’adapte à celle de mes rythmes biologiques et intellectuels ! Le même travail peut me prendre 1 heure ou 3 heures selon le moment de la journée où je le fais ! Par ailleurs, prendre le temps de résorber une inquiétude personnelle ou professionnelle à n’importe quel moment de la journée peut ouvrir un temps de sérénité qui va décupler l’efficacité des autres temps. La souplesse et l’autonomie de l’organisation des temps est l’arme la plus sûre pour lutter contre le stress et les Risques Psycho-Sociaux !
  • Ce qui vaut pour la journée vaut pour la semaine : traiter ses temps de toutes natures sur 7 jours, et non sur 5, ouvre un confort d’organisation qu’aucune dichotomie semaine/week-end ne permet ! Et ce ne sera pas identique d’une semaine à l’autre ! Je ne change pas de vie : en fait je n’ai qu’une vie et c’est à moi d’en distribuer les temps, en prenant en compte toutes les contraintes individuelles et collectives dans lesquelles cette vie s’insère ! Je ne peux pas vivre tout seul, certes, mais je suis seul à pouvoir vivre ma vie !
  • L’intelligence humaine ne fonctionne pas en « tuyaux d’orgues » : elle est mobile et passe d’un sujet à un autre en gardant avec elle tout ce qu’elle a saisit pour le réutiliser à bon escient ! Combien de solutions à un problème ou d’idées nouvelles sont-elles nées dans un lieu et un temps de notre journée que nul n’aurait songé à qualifier de « professionnel » ? Même une activité de pure dilettante peut porter une fécondité inattendue ! Combien d’échanges gratuits nous ouvrent à de nouvelles perspectives ! La culture est transverse à tous les temps et à tous les espaces !
  • Si les réseaux sociaux montrent une chose à cet égard, c’est bien l’imbrication de la nature des échanges à tous moments du jour. Je reste en contact continu avec tout ce qui fait mon « monde » : travail, famille, vie citoyenne, amis, projets et engagements divers… Et si je « déconnecte » à certaines heures et à certaines périodes, c’est en solution de continuité avec ce qui fait mon choix de vie.
  • Enfin, ce n’est pas parce qu’on travaille plus qu’on travaille mieux, ni même qu’on est plus productif, à fortiori plus créatif : à un moment donné, c’est même le contraire. Ne pas respecter les temps humains conduit à l’abrutissement stérile et improductif .

Le travail à distance, dont le télétravail est une réalité, est ainsi une pédagogie de vie, parce qu’il comporte un réapprentissage, une réappropriation du temps… parce qu’ils nous conduit à discerner et travailler nos temps !

C’est pourquoi la notion de « nomadisme » me semble appropriée pour parler de la modernisation du travail et de son « futur » 😉 : nous transportons avec nous toute notre vie et tout notre monde, que nous nous déplacions beaucoup où que nous restions un moment au même endroit : ce n’est même plus le problème !

Quelques réserves d’usage

Evidemment, le travail à distance et le nomadisme ne concernent pas tout le monde : les métiers qui exigent une activité manuelle effective – surtout lorsqu’ils sont effectués en équipe – restent soumis à l’exigence d’un « temps de travail » dûment mesuré. Mais là encore il semble bien difficile de raccrocher sa veste professionnelle aussitôt sorti du travail !

L’être humain ne peut se découper en tranches, en tout état de cause ! Et les logiques de réseaux touchent aujourd’hui toutes les professions ! On peut certes toujours et encore peut citer le cas extrême du travail à la chaine et de l’aliénation temporelle qu’il induit : ce n’est donc pas pour rien qu’on peut le qualifier « d’inhumain ».

pointeuse

A l’inverse, les excès de l’hyper-connection créent un risque non négligeable d’abus en tous genre : ce que l’on appelle le télétravail « gris », qui échappe aux règles élémentaires du code du travail. Il peut conduire à cette extension non contrôlée de l’activité professionnelle à toute heure du jour et de la nuit – que ce soit à l’initiative de managers peu scrupuleux ou d’une addiction personnelle – qui peut prendre des proportions tout à fait néfastes.

Il est clair que la législation devra s’adapter à ces nouvelles pratiques et imposer un « droit à la déconnexion », histoire de retrouver… un temps libre !

Enfin, et pour terminer sur un sourire, nous pourrions affecter les horloges pointeuses devenues inutiles à la répartition plus harmonieuse des tâches ménagères induite par une présence accrue de chacun au domicile. Comme quoi les effets collatéraux d’un progrès peuvent être… un autre progrès 😉 !

(Photos : Musée de l’horlogerie et Thomas Desforges)

Patrick Bouvard

Rédacteur en chef de RHinfo.com, consultant senior en management des Ressources Humaines, accrédité auprès de la Commission Européenne en matière d'argumentation et de rédaction de discours.

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