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Smart Cities : les villes sont-elles intelligentes ?

La ville intelligente, ou smart city, c’est le nouveau concept à la mode dans les grandes agglomérations françaises et européennes. En ces périodes d’économies budgétaires et d’élections locales l’idée est habile : comment rendre la ville plus fluide, plus efficace et donc plus agréable à vivre sans dépenser plus ?

Et bien, chers lecteurs de Zevillage, nous n’y avions jamais pensé, il suffit de rendre la ville intelligente et ce, grâce évidemment à l’intégration des technologies numériques et des réseaux !! Si nos édiles, nos entreprises, nos fonctionnaires et nos citoyens ne sont pas assez intelligents tous ensemble pour que nos villes soient efficaces, fluides et bien gérées, le numérique lui va relever ce challenge. Vaste défi en effet mais qui pose bien des questions.

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Mais d’où vient cette idée ?

L’économiste américain Jeremy Rifkins a beaucoup écrit sur les réseaux intelligents (smart grids) dans son ouvrage la 3ème révolution industrielle. L’idée de Rifkins est que le mariage du numérique et de l’énergie donnerait naissance à un nouveau paradigme énergétique en permettant d’intégrer les énergies renouvelables dans nos réseaux de distribution d’électricité. Cette intégration nous permettrait alors de sortir de notre dépendance aux énergies carbonucléaires. Et le  prolongement et l’extension de cette pensée des « réseaux intelligents » à l’ensemble d’une ville constitue ce qu’on appelle la Smart City.
word cloud electronic tree : smart grid (cs5)

Une ville est d’une certaine façon une superposition complexe d’infrastructures : réseaux de transport, de distribution d’eau, d’énergie et de communications, pour faire simple. Pour faire une analogie avec le corps humain, les réseaux de la ville, c’est à la fois le système sanguin et nerveux. Si une veine est coupée en deux ou se bouche, c’est très problématique. Idem pour les terminaisons nerveuses qui doivent acheminer l’information au cerveau. Bref, les réseaux du corps ne sont pas intelligents en tant que tels mais permettent au cerveau de l’être. Le projet de la Smart City est assez similaire.

Pour résumer, on met les outils et les équipements qu’il faut dans la ville comme des des capteurs, des logiciels, des supports sans fils et un réseau du très haut débit  pour que ses infrastructures deviennent plus fluides, plus optimales et que de nouveaux services aux citoyens se développent.

Avec la Smart City, la ville devient sensible, on lui ajoute  en quelques sorte une couche informationnelle qui se superpose aux infrastructures d’eau, de transport, d’énergie. Et avec la récente généralisation des smartphones et du haut débit mobile, le panorama est enfin prêt pour cette révolution de la ville informationnelle, enrichie et augmentée d’informations.

Cette vison est-elle encore très prospective comme dans le livre de Rifkins ou déjà à l’oeuvre dans différentes villes ?

 Aujourd’hui, la ville intelligente c’est surtout un ensemble de promesses qui ressemblent plus à un programme électoral qu’à une réalité tangible. Mais les expérimentations fleurissent un peu partout.

Lyon fait d’ailleurs partie de ces villes qui se positionnent très fortement sur cette question à travers le programme « Lyon Smart City » qui décline une série de propositions et projets : déplacements plus rapides et plus fluides, mobilier urbain interactif, une signalétique plus communicante, des paiements sans contacts, un pilotage individuel de la gestion de l’énergie, un accès direct aux informations de la ville mais aussi des opportunités créer de nouveaux services grâce à la mise à disposition des données publiques, ce qu’on appelle l’open data qui deviendra ensuite des smart data. Dans la smart city tout devient smart !

Et concrètement ça donne quoi une ville intelligente ?

Il y a d’abord une ensemble de services liées à la mobilité. Pour prendre l’exemple de Lyon, on peut citer le projet Optimod qui permet de réduire les temps de parcours des chauffeurs en facilitant l’accès aux données de transport en temps réel : trafic, prédictions à 1h et disponibilité des aires de livraison. On a aussi OnlyMoov, un système d’information sur le trafic, Géovélo, un GPS adapté au vélo ou encore le portail de covoiturage du Grand Lyon qui compte 10 000 inscrits et près de 33 000 covoitureurs réguliers, un vrai succès.

Ensuite, il y a tout ce qui concerne l’énergie avec d’un côté l’utilisation des énergies propres et de l’autre des système d’optimisation de la consommation. Quand on a les deux en un comme le projet lyonnais SunMoov c’est le bonheur total : 30 véhicules électriques en auto-partage avec 80% de l’énergie en photo-voltaïque.

Covoiturage 2 (canvas version)
Il y a aussi l’installation d’Energy box dans près de 300 logements sociaux ou encore Move in pure, une alimentation en énergie décarbonnée du parc de véhicule électrique du Grand Lyon. Et puis, le fameux, compteur électrique Linky qui permet à 75 000 foyers de l’agglomération de suivre sa consommation en directe. Espérons que cela fera baisser la facture !

Enfin, il existe un ensemble d’innovations de toutes sorte comme du mobilier urbain interactif, des sols tactiles et un ensemble de services sans contact grâce aux technologies NFC. Par exemple, un projet ambitieux portant le doux nom de Greezly qui permettra, grâce à un ensemble de capteurs sans fils et autonomes d’analyser en temps réel les conditions de la chaussée pour améliorer la sécurité et optimiser le déneigement !  Bref une débauche de créativité et de concept ma

Quels sont les limites d’un tel dispositif ?

L’intelligence ou l’habileté (smart) sont je l’espère des attributs inhérents à l’être humain et il ne faudrait pas déléguer ou conférer un ensemble de processus et de décisions lourdes aux seules technologies sous prétexte qu’elles seraient plus performantes que nous pour qu’une ville fonctionne bien ou mieux. Comme si le bons sens avait disparu et qu’en dehors de la technologie il n’y avait point de salut. Je me suis toujours demandé pourquoi les savoyards déneigeaient mieux leurs routes que les marseillais qui paniquent au moindre flocon.

Nul besoin de capteur NFC ou de big data pour comprendre qu’il neige souvent en Savoie et qu’un peu de bon sens et d’expérience permettent de régler la plupart des problèmes. De même, je ne comprends toujours pas pourquoi on n’arrive pas à réduire significativement les bouchons grâce au télétravail et pourtant, ce n’est pas la technologie qui freine le travail à distance.

Et puis, il y a bien longtemps, les Romains, qui avaient finement observés qu’avec l’effet de Coriolis, la décrue de l’Ouvèze à Vaison la Romaine ravageaient plus une rive qu’une autre ne s’avisaient plus de construire leur maison sur la mauvaise rive. Et ce n’est pas la technologie qui protégeait les Romains mais leur sens de l’observation et sans doute leur mémoire. Il me semble donc qu’une ville soit disant intelligente doit être pensée avec l’intelligence humaine, augmentée et appuyée par les technologies mais que les technologies ne doivent pas se substituer aux citoyens et à leurs représentants.

Par ailleurs, les Smart Cities, si elles font référence à une pensée assez construite et cohérente notamment en référence aux écrits de Jeremy Rifkins, constituent aussi un formidable concept marketing pour vendre de la technologie sans trop savoir si cela marchera, sera utile et durable. Les grands fournisseurs de technologie et de réseaux s’en donnent d’ailleurs à coeur joie sur ce thème et leurs intentions sont avant tout de vendre leurs produits.

Enfin, la question de la Smart City fait écho aux débats sur la propriété des données. Et aujourd’hui, c’est un peu la course à l’échalote pour s’approprier les données et à tout prix sous les prétextes les plus louables et parfois les plus fallacieux. Mais sommes nous prêts à laisser les traces de nos vies aux 4 vents numériques, sans règles, sans contrôle et sans réelle utilité ?

En conclusion, je crois qu’une ville ne peut pas devenir intelligente sans ses citoyens et il serait dangereux de faire croire que les technologies pourraient palier nos insuffisances, remplacer notre pensée et pire, nous rendre heureux !

Voir aussi la synthèse sur le rapport de l’Institut de l’entreprise sur les smart cities.

Jean Pouly

Fondateur d'Econum, cabinet conseil spécialisé sur l'économie numérique et le développement durable.

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