Campagnes

Robert, sort le tracteur on va tirer de la fibre optique ce week-end !

Ce serait chouette d’amener la fibre optique dans tous les foyers français. On y vient progressivement en ville d’ailleurs tellement c’est bien. Avec 100 Mo de débit symétrique, cela donne accès à beaucoup d’usages innovants et permet à de nouveaux services d’émerger. Pas de chance, si vous habitez à la campagne, ce n’est pas pour vous : la ruralité devra attendre. Pas de débit, pas de télétravail. A moins que…

Tracteur Renault

J’aurai pu intituler cet article « Pourquoi vous n’aurez jamais de Très haut débit à la campagne (ou dans 20 ans) « . Car la fibre optique dans toutes les maisons (FTTH) à la campagne ce n’est pas pour demain. Pour des raisons  économiques évidentes : gros investissements (1 000 à 3500 € la prise dans chaque domicile), une clientèle peu dense et donc des modèles économiques peu rentables pour les opérateurs investisseurs.

C’est la raison pour laquelle des élus locaux se penchent sur le sujet et investissent pour créer des réseaux ouverts d’initiative publique ouverts à tous les opérateurs du marché. Le retour sur investissement provenant de la location des tuyaux aux opérateurs intéressés.

Sauf que la fibre optique est chère, que le sujet est complexe pour des non spécialistes et que les retours politiques sur investissement sont longs. On paye les impôts tout de suite et on voit le résultat dans longtemps.

Or, sans débit pas d’activité économique, pas de jeux vidéos en ligne, pas de Netflix, pas de télétravail, pas commerce en ligne, pas de rien du tout.

Solutions bas de gamme ou fibre optique ?

Beaucoup d’élus locaux sont donc très sensibles aux arguments d’Orange, qui a lui l’avantage sur ses concurrents de posséder le réseau cuivre du téléphone. En situation de monopole de fait sur 80% du territoire.

Plutôt que d’investir dans la fibre optique, Orange (et ses concurrents quand ils sont présents) propose une solution technique de « montée en débit » aux collectivités locales pour prolonger la vie de l’ADSL regonflé.

Orange est aussi capable d’accélérer le processus en déployant la fibre à ses frais, en aérien, sur ses poteaux téléphoniques contre une concession : une manière de conserver son monopole et d’avoir un coup d’avance sur ses concurrent.

Séduisante, cette solution d’augmenter le débit ADSL grâce à l’installation d’équipements (les NRA-MeD) dans chaque Noeud de raccordement d’abonnés (NRA) a un coût pas neutre : entre 100 et 150 000€ quand même pour chaque NRA.

Cette solution présente des avantages pour les élus et pour l’opérateur historique. Mais pas forcément pour les « usagers » ruraux :

  • la « montée en débit » de l’ADSL est une solution gagne petit qui ne correspond pas aux usages actuels d’Internet :  pas de débit symétrique alors que nous sommes tous producteurs de contenus (« Regarde les photos que Mamie a envoyé depuis sa tablette« )
    Même Joël Mau, initiateur de la « montée en débit » chez Orange, trouve que cette solution n’est plus adaptée
  • elle retarde l’arrivée du THD dont le déploiement va s’étendre sur au moins 20 ans alors que pour avoir des effets sur l’économie et l’attractivité il faudrait une mutation rapide
  • elle « empoisonne le dossier du Très haut débit« .

S’en sortir avec le barning ?

Il y a donc de quoi être très pessimiste sur l’aménagement du territoire. C’est le statu quo sur la fibre pour tous les opérateurs.

Le seul espoir reposerait donc sur un hypothétique développement de technologies alternatives :

  • la 4 ou 5 G (qui n’est pas faite pour des usages intensifs) et obligerait les opérateurs à multiplier les antennes pour ne pas saturer le réseau avec la consommation de données. C’est cher. Si l’Etat n’avait pas racketté (c’est le mot) les opérateurs avec des prix de licence prohibitifs mais les avait obligé à investir ces montants dans des antennes je serai en train d’écrire cet article en 4 ou 5G.
  • le satellite : des problèmes de latence (le signal monte vers le satellite et redescend) et de débit ; un espoir dans les nouvelles générations de satellites ? (sauf si Elon Musk prend tout le monde de vitesse avec son réseau de satellites mis sur orbite par ses propres fusées de SpaceX !)
  • les technologies radio : des émetteurs WiFi (ou Wimax) locaux alimentés par de la fibre optique ou des faisceaux hertziens
  • un mélange fibre-optique/cuivre pour « le dernier mètre », comme l’explique Joël Mau dans l’article ci-dessus, solution dans laquelle on rapproche l’amplificateur de l’abonné.

Et puis il y a le barning, du mot « grange » en anglais. Cela consiste à tirer soi-même sa fibre avec ses amis, ses voisins, ses proches et à créer un petit opérateur très local pour se substituer aux « gros » opérateurs qui ne sont pas intéressés. Une démarche dans l’esprit de ces paysans américains qui s’entraident pour construire ensemble la grange d’un membre de la communauté.

Un bel exemple de cette démarche communautaire est donné dans le film Witness où les membres d’une communauté amish construisent en une journée la grange d’un jeune couple (voir l’extrait ci-dessous).

Cette démarche existe en Angleterre, au Canada, aux Pays-Bas ou en Allemagne. La seule solution pour les territoires ruraux qui veulent se développer ?

Alors, on sort le tracteur ce week-end ?

Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

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