Comment concevoir des bureaux harmonieux ? [entretien]
Entretien avec Ghislain Grimm, directeur du pôle Consulting de AOS Studley, (aujourd’hui Colliers) société de conseil en immobilier d’entreprise et aménagement de bureaux.
Zevillage : Comment définissez-vous votre vision de l’espace de bureau et de l’environnement de travail ?
Ghislain Grimm : Pour nous l’environnement de travail a deux composantes majeures. Il est d’abord lié à l’activité de l’entreprise : on ne conçoit pas l’environnement de travail sans d’abord comprendre les activités des salariés, en s’affranchissant de l’organigramme, des titres et descriptions de postes. La deuxième composante de notre conception c’est que l’environnement de travail est très large. Il part d’abord de chez soi et se poursuit dans des lieux multiples, des lieux de l’entreprise ou des tiers lieux.
Notre conviction c’est que, quels que soient les modèles, dans 100 ans il restera encore des lieux physiques à la marque de l’entreprise. Aujourd’hui, ces lieux « propriétaires », au sens où l’entreprise y pose sa marque, sont constitués de l’espace et de l’organisation de l’espace, de la technologie, individuelle, portable et mobile – qui permet donc le travail chez soi ou dans des tiers lieux –, des services et des nouveaux modes de travail. Si on n’a pas réfléchi à tout cela on n’a pas conçu l’environnement de travail.
La future révolution est pour nous dans ces services de nouvelle génération, bien au-delà du cliché de la conciergerie. Cliché car elles ont des taux d’usage très faible. Au-delà de l’affichage, les services de nouvelle génération dont nous parlons sont destinés à traiter les collaborateurs comme on sait le faire dans les business center d’hôtels. Les services généraux, l’informatique, tous les services qui donnent du support devraient être traité de cette manière. C’est à dire ne pas considérer le collaborateur comme quelqu’un qui ennuie, ne pas le recevoir à la cave, ne pas dire « Ton informatique ne marche pas parce que tu t’en es mal servi ».
Les services de nouvelle génération dont nous parlons sont destinés à traiter les collaborateurs comme on sait le faire dans les business center d’hôtels
Le phénomène du Bring your own device (BYOD) ne dit pas autre chose. Il dit : « Je veux être efficace au travail donc les outils doivent être super-performants ». La qualité de service que je demande à mon opérateur personnel à la maison quand ma box est en panne, je veux la retrouver dans l’entreprise.
C’est ce qu’a fait avec la SNCF pour son nouveau siège social de 800 personnes à Saint-Denis. La qualité de service en interne, fixée par Guillaume Pépy, est celle de prestataires externes. Le nom de code du service informatique est d’ailleurs le Genius bar. Quand un collaborateur a un problème informatique il doit être reçu comme au Genius bar d’Apple. Le rez-de-chaussée du siège est conçu comme un espace d’accueil pour les visiteurs mais aussi pour les collaborateurs.
Le salarié décide de son usage des bureaux
Zevillage : Vous avez développé un concept « d’environnement dynamique » dans lequel c’est le salarié qui décide où et comment il travaille. A quoi cela correspond-il ?
Ghislain Grimm : On part du principe que nous avons tous beaucoup d’activités dans la journée, qu’un titre-fonction ne résume pas ce qu’on a à faire et que, de plus en plus, nos journées sont des séquences alternées de choses planifiées et impromptues, des séquences alternée de travail seul, à 2 ou en équipe, in situ et à distance.
L’ancien monde dans lequel on disposait d’un bureau fermé individuel et d’une salle de réunion ne suffit pas pour gérer toutes ces activités variées. Le modèle de réponse n’est pas non plus de mettre tout le monde en open space et de laisser les choses se faire.
La réponse c’est de redonner à chacun de l’autonomie. Il faut donc se poser la question sur la manière d’évaluer les objectifs de chacun, sur le rôle du manager (manage-t-il la présence ou la performance ?). Il faut être capable de répondre à ces questions : autorise-t-on le travail à distance et sait-on organiser le collectif ? Car plus on autorise le nomadisme, plus on travaille dans des lieux différents, plus on a besoin d’organiser des rituels et des règles de vie collectives et individuelles.
L’espace dynamique c’est d’abord savoir comment on organise le dynamique. On peut appeler cela l’agilité ou l’efficacité individuelle et collective.
L’enfer ce sont les collègues de bureau ?
On devrait même parler d’un environnement dynamique car il ne s’agit pas seulement d’un lieu de travail avec zéro attribution de poste. Cet environnement inclut le mode de travail, le mode de management et l’espace physique.
Zevillage : Comment expliquez-vous que lorsqu’on travaille en open space on dérange ses voisins et pas dans un espace de coworking qui est structurellement aussi un open space ?
Ghislain Grimm : Il peut y avoir plusieurs explications. D’abord il y a l’aspect psychologique. Dans un open space, le mode de travail est subi alors qu’il est choisi dans un espace de coworking. Il peut y avoir une explication plus sociologique aussi. Dans les espaces de coworking actuels on observe une typologie d’utilisateurs particuliers, plus militants, plus entrepreneurs. Peut-être existe-t-il aussi un aspect générationnel.
Il existe un autre facteur. Certains open spaces sont bien aménagés et d’autres pas. Comme les bureaux partagés à 3 ou 4 personnes. Certains sont des enfers, d’autres pas. Actineo a publié un baromètre de qualité de vie au travail qui montre bien que la qualité réside dans la relation aux collègues.
La qualité de vie au travail réside dans la relation humaine avec les collègues de bureau.
Il y a des gens qui rêvent du bureau à 2 ou 3 alors que cela peut se transformer en Bienvenue en enfer si le 2e ou le 3e collègue n’est pas le bon. Au contraire, dans un espace plus collectif, les choses se régulent. C’est comme dans les anciens trains : on était mieux dans les voitures à 50-60 places que dans des compartiments à 6 ou 8 places où on entrait dans une intimité parfois gênante.
L’open space bien conçu est à taille humaine, ne compte pas plus de 10/12 personnes qui doivent travailler ensemble, et il offre toutes les possibilités de repli, à 1, 2, 3 ou 4. L’open space est alors l’endroit de la concentration et l’espace du collaboratif, avec ses nuisances, est situé ailleurs.
On ne milite pas pour l’open space chez AOS Studley. Mais on ne croit pas à la vertu du bureau individuel en 2014.
Pour continuer le débat avec Ghislain Grimm sur Twitter : workINprogress