La Grande Halle de Colombelles veut améliorer la qualité de vie au travail
Espace coopératif par excellence, les tiers-lieux visent à redéfinir le travail de demain. En cela il se situent à mille lieues des banques de clones du travail moderne entassés dans des endroits « cool » en centre ville des grandes agglomérations mondiales. Leurs projets sont d’ailleurs autant sociaux, culturels qu’économiques. Le terme de tiers-lieux est intéressant en soi. Voici quelques explications (et une interview vidéo) à l’occasion de la visite que Zevillage et Visionary Marketing ont rendue à la Grande Halle de Colombelles cet été 2018.
Espaces coopératifs et tiers-lieux
Dans la famille espace collaboratifs je demande le tiers-lieu. « Tiers » comme un signal d’autre chose, un OVNI du travail en quelque sorte, ou plutôt un lieu à imaginer, en constante évolution, empreint de créativité et d’ouverture sur les champs du possible.
Un tiers-lieu, qu’est-ce exactement ? Un néologisme, certes, issu d’un autre néologisme anglais third place qui désigne un lieu entre le domicile (first place ou « premier lieu ») et le travail (second place ou « second lieu »). Voire même un barbarisme car certainement que « troisième lieu » serait plus approprié.
Ces « tiers-lieux » sont intéressants, ils sont porteurs de communautés, il s’agit de véritables projets de société :
« Les tiers-lieux » comportent en eux-mêmes un grand nombre d’attributs propres à la constitution de communautés. Si leur localisation s’y prête, les différences et origines sociales peuvent être « aplanies », ce qui est malheureusement rarement le cas de nos jours, et le ce sentiment éprouvé par les gens qu’ils sont traités socialement comme des égaux. La conversation informelle y est l’activité principale et joue le role fondamental de liant. Un commentateur évoque les tiers-lieux comme étant la « pièce à vivre » de la société.
Les tiers-lieux, instigateurs de communautés par Stuart M. Butler et Carmen Diaz, 2016 - Brookings (organisme de recherche indépendant regroupant 300 chercheurs du public et du privé).
En somme, un lieu bien éloigné de ces grands open spaces impersonnels dont une étude récente, commentée par The Economist dans son numéro du 28 juillet, a démontré qu’ils servaient surtout à isoler les gens plutôt qu’à les rassembler autour d’un projet commun (Bartelby, les espaces ouverts ferment les esprits).
Grande Halle de Colombelles : réinventer le travail de manière coopérative
C’est cela qui m’a plu dans ce projet de tiers-lieu dans la banlieue de Caen, à Colombelles exactement, pas très loin de Ouistreham où je viens de temps en temps me ressourcer près de la mer.
Dans ce projet de Grande Halle en effet, il y a une vision de la culture, du partage, du développement collectif et personnel (dans ce sens-là).
En somme, un véritable projet de travail coopératif, mêlant culture et entreprise, économie solidaire et traditionnelle, un lieu pour repenser et réinventer le monde et redonner de la qualité de vie et du sens au travail.
C’est que ce besoin de sens est plus qu’impérieux dans le monde d’aujourd’hui.
En cette époque où location de m2 rime avec nouveaux espaces de travail, il était bon de remettre un peu d’utopie à l’ordre du jour, sans oublier le projet architectural, aussi esthétique que fonctionnel, destiné à donner un second souffle à ce grand lieu industriel qui avait laissé comme une plaie ouverte dans la région et la mémoire collective, à sa fermeture en 1994.
Voici donc le résultat de mon interview d’Ophélie Deyrolle, co-fondatrice de ce projet original, qui est aussi une aventure entrepreneuriale.
De la friche industrielle au tiers-lieu coopératif
La Grande Halle de Colombelles est l’ancien atelier électrique de la Société métallurgique de Normandie (SMN) c’est à dire la plus grosse usine qui existait autour de Caen. Il s’agit d’un bâtiment qui date du milieu du XXe siècle et qui est le dernier vestige de cette très grande entreprise qui a fermé en 1994.
Lorsque l’entreprise a disparu, tout a été démoli ou déconstruit, mis à part l’ancien atelier électrique et une grande tour réfrigérante .
Il était nécessaire de réoccuper ces 200 hectares de pas laisser une fiche, ni surtout une blessure ouverte sur le territoire de Colombelles et de Caen-la-Mer.
Normandie Aménagement : une société pour faire revivre l’activité économique
Normandie Aménagement est une société d’aménagement qui a été mandatée par la collectivité pour recréer à cet endroit là des espaces d’activités économiques et des logements. Un jour s’est posé la question de la réhabilitation du dernier vestige de la dernière friche industrielle, celle de la SMN.
Nous avons décidé d’adopter une approche originale et de ne pas nous focaliser sur une activité unique. Nous avons ainsi consulté à la fois les habitants, les associations, les entreprises et les collectivités pour imaginer ensemble comment transformer ce lieu là et répondre aux besoins de toutes les parties prenantes.
De Normandie Aménagement au WIP, une structure associative et coopérative
Nous avons décidé, après avoir lancé les premières études au sein de Normandie Aménagement, de monter notre propre structure associative et coopérative qui s’appelle le WIP (pour Work In Progress), afin de signifier qu’on sait où on veut aboutir mais qu’on ne connaît pas forcément le chemin exact pour y arriver. Cela permet justement à une multitude de projets de venir se greffer à celui de la Grande Halle.
Nous avons voulu que ce projet ressemble au mieux aux citoyens, à ceux qui font le territoire, et pour cela il faut les intégrer dans les choix stratégiques qui vont permettre de développer la Grande Halle.
[click_to_tweet tweet= »La Grande Halle de Colombelles relève autant de l’#ESS que de l’économie circulaire que de l’entrepreneuriat traditionnel » quote= »La Grande Halle de Colombelles relève autant de l’économie sociale et solidaire, que de l’économie circulaire, que de l’entrepreneuriat traditionnel. « ]
Nous avons été distingués lors de la Biennale d’architecture de Venise cette année en 2018. Nous avons fait partie des dix lieux présentés dans le pavillon français, grâce aux architectes commissaires du Pavillon qui s’appellent « encore heureux » et qui sont la maîtrise d’œuvre de la Grande Halle.
Nous travaillons avec des organismes de formation, des partenaires comme le dôme qui est le le fablab de Caen, des acteurs du monde social, les collectivités ou les grandes entreprises du territoire qui viennent organiser des séminaires ou des formations dans notre lieu de préfiguration qui s’appelle « la cité de chantier ». Celui-ci est est en petit ce que sera la Grande Halle. Ce lieu nous permet de faire grossir le microcosme et l’écosystème.
Le tiers-lieu, ce projet collectif pour améliorer la qualité de vie au travail
Nous estimons que nous passons déjà beaucoup de temps au travail et que les tiers lieux peuvent apporter des réponses en termes d’amélioration de la qualité de vie au travail, de rompre l’isolement, et de jouer le rôle de communauté d’entraide.
[click_to_tweet tweet= »Les #tierslieux peuvent apporter des réponses en termes d’amélioration de la qualité de vie au travail » quote= »Les tiers-lieux peuvent apporter des réponses en termes d’amélioration de la qualité de vie au travail. »]
Une telle communauté d’entraide ne peut fonctionner que s’il y a de l’animation et surtout, si chacun est acteur et participe au bon fonctionnement du lieu.
Et à ce titre là c’est aussi un projet coopératif et un projet collectif parce que chacun va venir dans la Grande Halle pour développer son propre projet tout en participant à un projet collectif où on lui demande de participer à des tâches qui relèvent autant du fonctionnement du lieu que de l’animation ou de la gouvernance.
Il s’inscrit donc dans un projet plus vaste que le sien, qui l’enrichit et lui apprend de nouvelles choses, lui fait rencontrer de nouveaux futurs partenaires potentiels, etc.
Chacun des espaces de la Grande Halle sera protéiforme et multi-usages. Ils vont donc évoluer puisqu’il y a certainement des projets auxquels on n’a pas encore pensé.
Par exemple les espaces d’atelier du rez-de-chaussée ont pour l’instant plutôt été pensés pour des artisans. Mais il y a déjà des organismes de formation qui sont venus nous voir en nous expliquant qu’ils n’avaient pas d’endroits pour organiser leurs ateliers pratiques.
A la Grande Halle, avec nos deux hectares de terrain à proximité, il est possible de passer de l’enseignement de la théorie à celui de la pratique sans changer de lieu. C’est un usage qui n’avait pas été imaginé au préalable.
La Gouvernance du projet de la Grande Halle
Normandie Aménagement restera propriétaire de la Grande Halle, le WIP étant son client, locataire des lieux à compter d’octobre 2019. Le fonctionnement est tripartite, entre Normandie Aménagement, les architectes et le WIP.
Nous travaillons ensemble pour faire en sorte que ce projet urbain permette vraiment de participer à l’attractivité de ce territoire.
Le financement du projet de la Grande Halle
7 millions et demi d’euros ont été nécessaires au financement du projet. Ceux-ci ont été fournis par Caen-la-Mer, la communauté urbaine de la région, la ville de Colombelles, l’Ademe, le fonds européen FEDER et Normandie Aménagement.
Les travaux ont démarré en février 2018. Ce financement a été bouclé parce que le WIP, futur locataire des lieux, avait fait la démonstration de sa crédibilité et de sa capacité à développer le projet de façon coopérative.
Nous sommes allés nous-mêmes emprunter 300 000 € auprès de différentes institutions bancaires. On va bénéficier de quelques subventions également, notamment régionales, pour payer tout le mobilier car nous avons démontré notre capacité à fédérer et à faire venir des gens sur des spectacles et sur l’utilisation de bureaux au sein de « la cité de chantier ».
La Nef : point focal de la Grande Halle de Colombelles
Il s’agit d’une grande nef d’un seul tenant qui fait 1100 mètres carrés et qui peut accueillir jusqu’à un public de 1 000 personnes. Il correspond à une jauge qui n’existe pas sur la communauté urbaine de Caen.
C’est vraiment le lieu idéal pour ceux qui veulent programmer des spectacles différents et organiser de grandes manifestations soit économiques, soit des salons, soit des foires, soit de grands repas ou galas.
Elle peut aussi être configurée en exposition et est très accessibles, en sortie d’autoroute A13.
Ce lieu est encore marqué par l’histoire industrielle locale et est porteur de la force et de l’identité de la Grande Halle. C’est un lieu qui peut être configuré de multiples façons et qui démontre cette capacité d’accueillir tout type de projet au sein de la Grande Halle.
[Ajout] Voir aussi cette interview d’Ophélie Deyrolle réalisée pars Sylvia Fredriksson lors de laBiennale d’architecture de Venise en juillet 2018)