Espaces de travail

Soutien de 130 M€ de l’État aux tiers-lieux : interview de Patrick Levy-Waitz

Ce matin, le Premier Ministre, Jean Castex, accompagné de 4 ministres, a annoncé depuis le Wip à Colombelles, dans le Calvados, le soutien de l’État à l’écosystème des tiers-lieux pour 130 M€ , une reconnaissance du rôle économique et social de ces espaces. Dans cette enveloppe, 30 M€ du plan « France relance » vont notamment être affectés au soutien de la création de 100 « manufactures de proximité ».
Le Rapport 2021 de France Tiers-lieux a été remis au Premier Ministre par son président, Patrick Levy-Waitz que nous avons interviewé à propos du phénomène de société engendré par les tiers-lieux (Télécharger la synthèse du rapport ou le rapport complet – PDF). 

Zevillage : Comment expliquez-vous cet engouement pour les tiers-lieux ?
Patrick Levy-Waitz : Il est en train de se produire un phénomène qui permet de dire, me semble-t-il, que les gens ont fait leur deuil de toute la période de désindustrialisation et qu’ils se saisissent des transitions qui sont à l’oeuvre. Le rapport parle de dix thématiques qui sont à l’œuvre dans les tiers-lieux. Bien-sûr le lien social, la culture – évidemment -, le travail, mais aussi l’alimentation durable et l’écologie, cela va de soi, la fabrication locale, l’apprentissage par le faire, le numérique.

On balaye cette fois les sujets embarqués par des tiers-lieux et par les opérateurs. Et donc, on met en exergue, je pense, le caractère multiforme, protéiforme et extrêmement puissant à la fois en termes économiques, en termes de maillage du territoire, en termes de manières de faire et qui dit bien qu’il se passe quelque chose de très particulier.

Dans les recommandations que nous avons faites, il y en a qui sont évidemment de structurer et d’aider à la pérennisation du mouvement. C’est le plus important phénomène de société qu’on ait connu depuis le mouvement d’éducation populaire, le plus important depuis l’émergence des Maisons des jeunes et de la culture qui était né au moment de l’émergence de la société des loisirs.

Qu’est-ce que cela dit ? D’abord, cela dit que les infrastructures numériques qui étaient présentes dans les territoires et dont on bassinait le pays depuis leur arrivée dans les années 2000, elles sont prises en main, elles sont utilisées. Et donc elles créent des potentialités auxquelles s’ajoutent évidemment la crise du Covid, cela va de soi, comme sur la question du télétravail. Mouvement auquel s’ajoute aussi le changement en profondeur sur les questions de la transition écologique, de locavores, de circuits courts, d’économie circulaire et, évidemment, de recyclage.

Tous ces phénomènes de société auxquels on peut ajouter d’ailleurs le retour du la fabrication par la main, le mouvement des makers, raconte l’histoire, d’une certaine façon, de ce que les Français ont envie d’embarquer, de se saisir.

Zevillage : Qu’est-ce que ce mouvement représente dans la société ?
Patrick Levy-Waitz : Sur le plan des chiffres, c’est 2 millions de personnes qui ont, en 2019, fait un projet, ont travaillé quelques jours dans un tiers-lieu. Cela représente 150 000 personnes quotidiennement, 4 millions de personnes qui ont participé à des événements culturels. C’est spectaculaire.

C’est donc une puissance très impressionnante qui redessine le rapport du citoyen au politique. Il y a un enjeu de citoyenneté qui tranche avec la question de la participation citoyenne, le vote étant considéré comme étant un acte passif. Mais la participation à l’action, le fait d’être acteur, est un élément absolument impressionnant de ce qui va se produire. Et donc, évidemment, c’est aussi un éclairage sur la façon dont, dans les territoires, cela redessine la relation entre les collectivités territoriales et le collectif de citoyens.

Cela redessine le rôle de l’État comme soutien, accompagnateur là où il était créateur de normes. Historiquement, il était contrôleur, créateur de normes et contrôleur, dans ce sujet il est dans l’accompagnement, le soutien et l’évaluation des politiques publiques. Il redessine le rôle de l’État et des collectivités.

Ce mouvement pose la question, évidemment, de la lisibilité des rôles de chacun de façon encore plus prégnante pour les grandes institutions. Il questionne le service au public en lieu et place du service public. Autrement dit, qu’est ce qui est de l’ordre de la nécessité d’avoir un acteur public ou au contraire, d’avoir une activité d’intérêt général portée par les acteurs eux-mêmes ?

C’est le plus important phénomène de société qu’on ait connu depuis le mouvement d’éducation populaire, le plus important depuis l’émergence des Maisons des jeunes et de la culture qui était né au moment de l’émergence de la société des loisirs.

Il redessine la cartographie des acteurs qui pèsent dans les territoires. Il interroge les rôles de chaque structure institutionnelle qui s’est installée dans le pays, des CCI aux chambres des métiers ou d’agriculture qui doivent trouver leur place et apporter leurs compétences et leur savoir-faire en lien avec ces nouveaux acteurs.

Les tiers-lieux disent aussi quelque chose sur le rapport de l’éducation à l’action. On a par exemple, à France Tiers-lieux, des discussions fortes avec Pôle emploi : comment les tiers peuvent être des acteurs de l’inclusion sociale par l’emploi. L’Éducation nationale crée des tiers-lieux, mais aussi fait des partenariats avec des tiers-lieux pour permettre aux enfants d’ouvrir la tête dans la manière de faire.

Autrement dit, ce phénomène fait de ces lieux de transition le catalyseur à tout point de vue, le catalyseur des transformations profondes de la planète. Le catalyseur parce que c’est le réceptacle et du coup, le catalyseur de ce que ces transitions peuvent être utiles et peuvent permettre de redonner concrètement de l’activité, du lien social et donc, de l’espoir aux Français. Et cela, c’est vraiment étonnant.

Répartition des tiers-lieux par région

Répartition des tiers-lieux par région

Zevillage : Vous ne craignez pas qu’en s’institutionnalisant et avec autant d’argent, le mouvement spontané des tiers-lieux devienne un machin bureaucratique dopé à la subvention publique ?
Patrick Levy-Waitz : Non et vous verrez dans les chiffres du rapport, que 50% des activités des tiers-lieux sont privées. Déjà, cela dit beaucoup. Deuxièmement, on est dans le rôle de l’État aménageur du territoire structurant des politiques publiques et permettant de mettre, à un moment donné, une impulsion sur des outils utiles.

Troisièmement, la question est très simple : comment nous construisons des politiques avec les acteurs pour qu’ils portent eux-mêmes les conditions de l’activité économique, qui fabriquent de l’économique et qui fabriquent donc des revenus. Au cœur de la politique de co-construction avec les acteurs c’est évidemment un sujet majeur.

On obéit à une contrainte qui est que le financement ne doit pas dépasser 50% de subventions. On est dans l’amorçage et on est surtout dans la structuration des réseaux, c’est-dire la condition de la pérennité. Les années 2022 et 2023 de France Tiers-lieux ce sera les ponts à créer avec le monde économique pur et dur. Tout a déjà commencé avec grandes entreprises, des grands groupes et on va travailler à la fin d’année avec le monde économique, soutenus et aidés par le ministère du Travail pour réussir cette hybridation entre vie privée et publique. Il faut avoir peur du saupoudrage des subventions qui n’engendre pas de dynamique de création de richesses et de développement de richesses, soit directement, soit indirectement, et c’est ce à quoi nous sommes très attentifs.

Zevillage : Pour le dire autrement, comment vous évitez le gâchis d’argent public ?
Patrick Levy-Waitz : Quand on met de l’argent dans des industries et que l’industrie tombe, cela rentre dans les poches des grands groupes ou que les entreprises ferment, il y a beaucoup de gâchis. Il y aura toujours moins de gâchis dans cet écosystème qu’il n’y en a eu.

Ce que je crois, c’est que c’est aux acteurs publics de savoir identifier les bons projets. On a porté sur les Fabriques des territoires des cahiers, des charges extrêmement clairs, assez durs, on fait un suivi de la politique publique, on évalue la politique publique, on regarde qui et comment, à quelles conditions, on anime.

Je crois que le gâchis n’arrive que quand on considère qu’on donne de l’argent et que vous n’avez pas de comptes à rendre. Mais si on fait attention, normalement, on doit réussir à être utile. On a des chiffres, on sait que quand on met un euro dans un tiers-lieu, qu’il y en a 4 qui sont générés. Donc la question est : est-ce ce qu’on a créé de la valeur ou est-ce qu’on n’en a pas créé à la fois la valeur directe ou la valeur induite ?

Zevillage : En 2020, la fondation Tiers-Lieux avait mené une enquête pour évaluer la santé de tiers-lieu. Qu’est-ce que vous avez constaté avec la pandémie de Covid ?
Patrick Levy-Waitz : On en parle dans le rapport. Beaucoup de tiers-lieux se disaient en danger. Mais comme l’État a beaucoup soutenu les petites et moyennes entreprises le danger de disparition a été moins grand qu’on le craignait. Mais on aura une idée plus précise de leur situation quand on fera le recensement, dans deux ans.

Voir les 5 mesures du gouvernement

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Lors de son voyage dans le Calvados, ce vendredi 27 août 2021, le Premier Ministre Jean Castex est accompagné d’Élisabeth Borne, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion ; de Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales ; d’Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargé des Petites et Moyennes entreprises ; de Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance.

Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

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