À quoi ressemblera le travail demain ?
Y aura-t-il encore du travail ?
Certains rapports alarmistes évoquent une « fin du travail », un remplacement de l’ouvrier par des robots et de l’employé, voire du cadre, par des logiciels. D’autres prétendent que la numérisation sera créatrice nette d’emplois.
Rappelons que l’impact de l’automatisation sur l’emploi est la résultante de 4 effets :
- une substitution de capital au travail, de l’automate à l’homme : il faut moins de temps humain pour produire le même bien ou service ;
- une augmentation de la compétitivité de l’entreprise, qui l’aide à conquérir des parts de marchés (nous allons voir que cet effet compense souvent le premier) ;
- des créations d’emplois liés à la conception, la fabrication, l’installation, la formation des utilisateurs des logiciels et des robots : ces emplois seront-ils chez nous ou ailleurs ?
- Les emplois induits par l’usage du temps ou du pouvoir d’achat libéré : va-t-on regarder une série américaine sur un téléviseur coréen ou assister à un spectacle puis dîner au restaurant avec ses amis ?
Le résultat net de ses effets n’est pas évident à prédire. Empiriquement, on observe deux choses :
- au niveau des entreprises, on a constaté dans une majorité de cas que le gain de parts de marché faisait plus que compenser le gain de productivité : en moyenne, les entreprises qui se modernisent embauchent et, si elles savent les former, elles gardent les salariés qu’elles employaient déjà. En revanche, celles dont les technologies deviennent obsolètes n’arrivent pas à affronter la concurrence. Le choix serait donc entre former ou fermer. Pour les entreprises, former leurs salariés ou fermer leurs usines. Pour les salariés, se former pour maîtriser les nouvelles conditions de travail ou se fermer des possibilités d’évolution.
- Au niveau des pays, ceux qui investissent le plus dans les robots, comme la Corée du Sud ou l’Allemagne, sont ceux où la valeur ajoutée industrielle se porte le mieux. L’effet sur l’emploi industriel est moins significatif, du fait des gains de productivité, mais la bonne compétitivité des entreprises industrielles induit des emplois dans le reste de l’économie.
Par ailleurs, de nouveaux produits et services apparaissent. Le smartphone n’existait pas il y a 15 ans. On trouve aujourd’hui plus de 6 millions d’applications sur les plates-formes d’Apple ou de Google, dont le développement a bien dû occuper quelques personnes.
On peut donc renvoyer dos à dos ceux qui prédisent une tendance générale à une forte réduction des emplois et ceux qui évoquent le retour au plein emploi qui a suivi toutes les révolutions industrielles. On n’a pas de preuve robuste qu’il y aura beaucoup moins de travail. Mais par ailleurs rien ne prouve qu’il ne faudra pas gérer des transitions douloureuses, qu’il ne faudra pas accompagner des personnes ou des secteurs entiers, déstabilisés par l’évolution des chaînes mondiales de valeur ajoutée et par la disparition de certaines activités.
Ce qui en revanche est certain, c’est que le travail quotidien d’une majorité de gens sera substantiellement modifié.
Le travail sera-t-il plus qualifié ?
Dans l’ensemble, oui, mais avec des contrastes selon les secteurs.
Dans les services, on observe une polarisation des emplois et des qualifications, avec l’apparition d’une part de beaucoup d’emplois ne demandant pas beaucoup de formation préalable, comme dans l’hôtellerie-restauration, le nettoyage, ou certains services à la personne (ce qui n’empêchent pas ces emplois de demander des savoir-être et des qualités humaines essentielles), d’autre part de certains emplois très qualifiés demandant une formation poussée et poursuivie tout a long de la carrière.
Dans l’industrie, on constate plutôt une élévation générale des qualifications.
Si pour presque tous, les compétences numériques exigées augmentent, celles-ci s’avèrent plus faciles à acquérir que beaucoup de ne le redoutent, avec des interfaces homme-machine plus conviviales (qui ne sait aujourd’hui utiliser les fonctions de base d’un smartphone ?). En revanche, certaines compétences liées au métier peuvent se perdre, au fur et à mesure qu’elles sont incorporées aux machines et aux logiciels.
Il est beaucoup plus facile d’apprendre à un bon soudeur à maîtriser des assistants numériques que d’apprendre à souder à quelqu’un qui est à l’aise avec des prothèses numériques. Or il reste important pour un opérateur qui surveille un îlot de fabrication où des pièces sont soudées de comprendre cette opération et si possible de savoir la réaliser.
Sera-t-on plus autonome au travail ?
On observe une aspiration et une capacité croissantes des salariés à l’autonomie. Certaines entreprises instaurent une plus grande subsidiarité pour y répondre et bénéficient en contrepartie de salariés plus engagés et d’une plus grande agilité grâce à l’intelligence collective qu’elles stimulent. Mais globalement, la France est dangereusement à la traîne, l’autonomie, déjà plus faible que chez nos voisins, tend à régresser.
Or les retours d’expérience des entreprises ayant intégrées avec succès des technologies de l’entreprise du futur montrent qu’elles ont en général fortement accru les responsabilités confiées à chaque salarié et le pouvoir de décision et d’action de chacun.
Le travail sera-t-il moins pénible ?
La pénibilité physique du travail diminue grâce à l’amélioration de l’ergonomie des postes, aux robots, cobots ou exosquelettes. Le risque d’ennui diminue aussi à mesure que le salarié prend en charge des tâches plus complexes et moins répétitives.
En revanche, la charge cognitive et psychologique augmente souvent. Par ailleurs, la contrepartie d’horaires plus souples et de possibilités de télétravail est une déconnexion plus difficile.
Le travail sera-t-il moins « viril » ?
Les environnements de travail de l’entreprise du futur sont plus complexes, le rôle des opérateurs présents consiste plus à gérer des imprévus difficiles à anticiper, des perturbations qui volent parfois en escadrille, et surtout des problèmes d’interface avec d’autres tâches ou fonctions. Deux qualités deviennent essentielles pour la performance :
- la capacité à jouer collectif, à améliorer la contribution de chacun plutôt qu’à viser l’exploit individuel, à prendre soin de ceux qui peinent. Cela suppose des capacités d’empathie et d’écoute
- savoir gérer efficacement les priorités lorsque rien ne se passe comme prévu et que diverses perturbations apparaissent (par exemple privilégier la sécurité des personnels).
Une occasion de développer ces qualités d’empathie et de gestion efficace des incidents est de participer activement aux tâches familiales consistant notamment à prendre soin des autres (enfants ou parents).
Aujourd’hui, dans les pays à culture rétrograde où les femmes prennent la plus grande part aux taches familiales consistant à prendre soin des autres, elles développent mieux que les hommes – statistiquement – ces aptitudes d’empathie et de gestion des interruptions et imprévus de plus en plus importantes dans le travail en entreprise.
On peut donc en conclure qu’au sein de nos usines, le robot peut remplacer l’homme, mais pas la femme et qu’il en est de même pour l’intelligence artificielle dans les bureaux.
À notre système d’éducation de développer chez tous leurs élèves, garçons ou filles, des capacités d’empathie, d’intelligence collective, de gestion des priorités, et d’encourager les femmes à s’orienter vers des métiers qu’on considérait naguère plus masculins.
Vers un design du travail
La conception des produits intègre de mieux en mieux l’expérience de leurs utilisateurs.
Nous pensons que la conception des processus de production doit intégrer mieux l’expérience des producteurs. Il faut utiliser les méthodologies les plus perfectionnées du design pour associer les opérateurs à la conception de l’organisation du travail. De manière générale, les bureaux d’étude qui conçoivent de nouvelles offres de produits ou de service doivent prêter attention à la fois à ceux qui les utiliseront et à ceux qui les produiront et les faire participer à leurs réflexions.
L’attractivité du travail
Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ne trouvent pas les compétences dont elles ont besoin, tandis que de nombreux actifs cherchent en vain des entreprises où ils aimeraient travailler. Des savoir-faire disparaissent, des territoires s’étiolent, la cohésion et la prospérité de notre société sont menacées. L’organisation du travail et notre système de formation doivent impérativement s’adapter aux enjeux de la transformation numérique, de la mondialisation des chaînes de valeur, de la préservation de l’environnement et des évolutions sociétales.
La situation est particulièrement préoccupante en France et notamment dans l’industrie. Dès que la conjoncture est bonne, les usines tournent à plein régime, les capacités de production sont saturées. C’est pourquoi, malgré une compétitivité qui s’améliore, notre balance commerciale reste déficitaire, notre pays produit moins de richesses qu’il n’en consomme. C’est notamment parce que trop de jeunes se détournent d’emplois dont eux-mêmes ou leur entourage ont une image négative ou n’ont pas envie d’acquérir les compétences qui permettent d’occuper ces emplois.
La cohésion et la prospérité de notre pays dépendront de la capacité de nos entreprises à rendre le travail attractif et porteur de sens, à répondre aux aspirations de leurs employés, notamment sur l’impact positif de leur action pour la société et l’environnement, et de la capacité de chacun à développer les aptitudes requises et à s’engager.
Thierry Weil, Chaire Futurs de l’industrie et du travail (CERNA, I3, CNRS), Membre de l’Académie des technologies, Mines ParisTech
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.