Future Of Work

Gilets jaunes : mobilité subie, utopie anarchique et revenu de base ?

Et si les Gilets jaunes préfiguraient, sans forcément le savoir, un changement de fond dans l’organisation du travail à base de mobilité choisie, d’auto-organisation et, pourquoi pas, de revenu de base ? Qui a dit que ce mouvement était conservateur ?

Le mouvement des Gilets jaunes s’est organisé sur Facebook autour d’une revendication de baisse de la fiscalité sur les carburants, en particulier sur le diesel. Même s’il apparaît aussi de nombreuses autres raisons à cette grogne, après 15 jours le coût du carburant reste central dans la mobilisation.

Tout simplement parce que dans la ruralité le budget familial consacré au diesel et au fuel est plus important que dans les grandes agglomérations : en l’absence de transports en commun on est obligé de se déplacer en voiture pour aller au travail et on se chauffe souvent au fuel.

Mobilité subie et télétravail

L’auto-boulot-dodo est obligatoire à la campagne car on y travaille souvent loin de chez soi. Le télétravail pourrait être une partie de la solution, tout comme la diminution de ses déplacements pour rapprocher le domicile et lieu de travail une démobilité.

Un sondage de Hellowork (éditeur du site RégionsJob) et Yougov publié le 19 novembre met d’ailleurs en évidence que 27% des sondés « pourraient changer d’emploi pour travailler plus près de chez eux (…) Parallèlement, 81% des Français en recherche d’emploi pourraient être découragés de postuler à une offre loin de chez eux en raison de la hausse du prix des carburants ».

Ce qui rend évidemment les ruraux plus sensibles à leurs fins de mois qu’à la transition énergétique. En réaction à l’augmentation du carburant « seules 16% des personnes en poste interrogées ont changé de moyen de transport pour aller travailler. Entre 18 et 24 ans, ils sont 30% ».

Auto-organisation

Derrière le point de fixation du carburant, les Gilets jaune expriment un ras-le-bol général, une sorte de jacquerie anarcho-libérale (et en même temps parfois une demande d’Etat), un rejet des élites et des politiques, des motifs qui traduisent « un sentiment d’abandon » comme l’exprime le géographe Hervé Le Bras.

Il a cartographié pour l’Obs les manifestations du 17 novembre. La mobilisation, rapportée à la population, a été plus importante dans les petits départements comme les Ardennes ou la Nièvre, où elle dépasse 6%, que dans les départements plus peuplés. « Même si le nombre de manifestants est élevé à Nantes, il est faible par rapport à la population de Loire-Atlantique (moins de 0,3%)», explique le démographe.

Dans la cartographie d’Hervé Le Bras les zones de forte mobilisation (1,8 à 6,8% de la population) font apparaître ce qu’il appelle la « diagonale du vide », une zone qui s’étend des Ardennes jusqu’aux Pyrénées.

Et ce qui frappe dans ces mobilisations c’est la spontanéité et la capacité d’auto-organisation. Elle repose pour une large part sur Facebook, 1er réseau social rural.

Désabusés de la politique et du syndicalisme, les Gilets jaunes ont choisi de « faire » eux-mêmes. Malgré les tentatives de récupération de « l’ancien monde », comme celle-là, pathétique ou rigolote, au choix.

Changer de métier pour se rapprocher de son domicile, s’émanciper des cadres existants, comment ne pas voir que les aspirations des Gilets jaunes rejoignent celles des salariés dans leur soif d’autonomie et dans celle d’une meilleure organisation des temps personnels et professionnels ?

Documentaire La belle vie

Travailler autrement ?

Autre grief mis en avant par les Gilets jaunes, l’absurdité qu’il y a à « perdre sa vie à la gagner » comme on disait en Mai 68. Même si les habitants de la « diagonale du vide » d’Hervé Le Bras ne sont pas les plus pauvres, ils perdent beaucoup d’argent et de temps à aller travailler pour des salaires peu élevés.

L’occasion de reparler du « revenu de base » comme le fait avec talent Gagner sa vie, une série documentaire interactive d’Upian et Arte sur notre rapport au travail et à l’argent.

En sept petits documentaires sur le revenu de base chez les indiens Cherokee, des villageois africains, à Bordeaux ou au Japon, cette mini-série interactive innovante brosse tous les aspects philosophiques et pratiques de la démarche.

Mais le documentaire le plus surprenant nous emmène à Amsterdam avec les créateurs de Bitnation, un système participatif de gouvernance régulé par la blockchain (Etherum).

Pour ses fondateurs, la population-cible de ce système est le mouvement des freelances qui peuvent travailler en ligne depuis n’importe où dans le monde, près d’un milliard de personnes sur la planète en 2025. Bitnation permettrait de facilement contracter, recruter ou s’associer quel que soit son lieu de travail.

Voilà qui devrait plaire à nos amis du collectif Happy dev. Mais qui pourrait aussi ouvrir des perspectives aux Gilets jaunes pour transformer la « diagonale du vide » en territoire où il fait bon vivre.

(Photo : Dandy des champs)

Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

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