Lormauto, la voiture durable qui bouleverse l’industrie automobile
Une voiture électrique, durable et peu chère
Lormauto est une startup qui ambitionne de fabriquer des voitures électriques durables, modulables, à faible empreinte carbone et à bas prix. Une démarche qui bouleverse les modèles économiques, les procédés d’innovation et de fabrication ainsi que l’organisation du travail du secteur. Et tout cela sans délocalisation.
Récemment, j’ai visité Lormauto avec Franck Lefèvre, co-fondateur de l’entreprise. Depuis cet entretien dans Zevillage, Franck a cédé son entreprise à ses salariés pour s’investir dans la création d’un nouveau projet original de construction d’automobiles électriques durables.
Pourquoi une auto électrique durable ?
Le modèle économique des constructeurs automobiles conventionnels est de produire en masse des modèles neufs et de pousser leurs clients à les renouveler le plus souvent possible. Un fleuron de l’économie extractive (ou extractivisme). Le marketing tend à nous persuader que votre véhicule neuf est déjà démodé ou dépassé technologiquement. Nous devons donc rapidement en acheter un neuf, victimes d’une sorte d’obsolescence psychologique programmée.
L’industrie automobile a su assez rapidement pivoter pour passer à l’électrique et tenter de “se verdir”. Une diminution des émissions carbone mais pas de l’empreinte carbone ! Les véhicules électriques ne sont pas plus écolos que les véhicules thermiques. Ils sont toujours construits selon la vieille logique qui présidait à la fabrication des véhicules thermiques : grosse consommation de matière première, durée de vie courte, faible réparabilité (logique “propriétaire” comme on dit en informatique).
À l’opposé, comme Fairphone avec les smartphones, Lormauto conçoit ses véhicules vertueux et durables qui s’appuient sur des ressources déjà existantes. Pas juste de l’électrification de voitures thermiques (le fameux retrofit que Lormauto utilise comme base réglementaire) mais un véritable reconditionnement, une modernisation de véhicules pour leur donner une seconde vie en économisant les matières premières qui auraient été nécessaires à la fabrication d’une voiture neuve.
Moderniser un véhicule émet 66% de CO2 en moins par rapport à la conservation d’un véhicule diesel, et 47% d’émissions en moins comparé à la production d’un véhicule électrique neuf selon un rapport de l’ADEME cité par Lormauto.
Les convictions de Lormauto
Ces choix techniques reposent sur des observations des méthodes des constructeurs automobiles et sur des convictions : on ne peut pas continuer comme avant.
On ne peut pas continuer à cause de la finitude des matières premières, à cause des bilans carbone désastreux dans la filière automobile (y compris électrique) et à cause des prix des voitures neuves qui s’envolent.
Franck Lefevre a récemment résumé ses positions dans un billet sur Linkedin en réaction à sa visite du Mondial de l’auto, à Paris : “Imaginez une scène remplie d’énormes mastodontes métalliques, roulant des mécaniques comme pour compenser un manque flagrant de créativité. Des trucs qu’on voudrait nous faire croire, à grand renfort d’écrans clinquants et d’hôtesses (Comment peut-on encore faire ÇA en 2024 ?), être des bijoux de technologie mais que je peine à voir comme autre chose que des gouffres insatiables de matières premières et des usines à CO2. Certes souvent électriques… mais ça rime à quoi quand ça pèse plus de 2 tonnes ?”.
Toujours plus gros, toujours plus fort, toujours plus clinquant et faussement innovant. Conséquence : l’industrie automobile se comporte comme Kodak lors de l’arrivée de la photo numérique !
Pour vendre ces merveilles, la filière automobile met le paquet en publicité. En 2023, les budgets publicitaires ont augmenté de 19,7% (2,75 Md€) selon Kantar media. L’année 2024 devrait être pas mal non plus si l’on en juge par les tunnels de pub à la télévision, encombrés d’annonces de constructeurs. Avec parfois deux ou trois marques concurrentes se succédant les unes aux autres.
Pour Franck Lefevre, cette stratégie des constructeurs est carrément suicidaire. Elle affronte la Chine sur son terrain où elle a pris énormément d’avance comme l’explique ce saisissant documentaire d’Arte.
Les constructeurs chinois sont déjà arrivés en France et pratiquent des tarifs très en dessous de ceux des constructeurs européens qui pensent s’en tirer grâce au protectionnisme des taxes à l’importation.
Mais les ventes de véhicules électriques européens à batteries sont en baisse. Ils sont chers et le crédit est moins accessible. L’export est bouché par la production chinoise et la fin des ventes de véhicules thermiques est programmée. Une impasse qui pose déjà des problèmes sévères à Volskwagen.
Une impasse anticipée par Lormauto qui a donc choisi une autre voie.
Voilà comment Lormauto innove : elle bouleverse la conception et les services d’une voiture (et bientôt aussi d’un véhicule utilitaire et d’une familiale), la manière de travailler, les modèles économiques de la filière et, même, l’aménagement du territoire.
Comment fabriquer une mobilité électrique vertueuse ?
Lormauto rénove entièrement des Twingo 1 pour prendre soin des ressources disponibles et en utilisant ce qui existe déjà. Elle les électrifie et modernise leur intérieur pour en faire des véhicules quasiment neufs, conçus pour durer longtemps.
Pourquoi ce choix de la Twingo ? Parce qu’elle est largement disponible (plus de 300 000 véhicules en France), qu’elle possède les qualités techniques nécessaires, qu’elle est populaire auprès des Français. Et, enfin, parce qu’elle possède un aspect rassurant pour les personnes hésitantes face à l’électrique.
Lormauto électrifie l’ancienne Twingo et installe un module de petites batteries facilement interchangeables ou réparables, contrairement aux batteries monobloc.
Le système de chauffage sera aussi changé, comme le câblage de la voiture et les sièges seront refaits. L’objectif est d’augmenter la durabilité du véhicule qui repart pour 10 à 15 ans supplémentaires.
Contrairement aux constructeurs traditionnels qui privilégient une “conception hautement intégrée” pour faciliter la fabrication et faire baisser les coûts de production, Lormauto privilégie une démarche “orientée client” de réparabilité. Les différents composants de la voiture sont indépendants les uns des autres et réparables à moindre frais.
Une démarche de modularité qui permet aussi de moderniser les véhicules à la demande du client.
Des data bien exploitées
Les voitures sont très connectées. Quelques centaines de données sont remontées vers le cloud de Lormauto. Elles permettent plusieurs choses, pas forcément réalisées par les constructeurs automobiles traditionnels :
- pour faire de la R&D, afin de tester très rapidement des approches nouvelles (exemples: profils de gestion des batteries, ou bien test d’un moteur proposé par un nouveau fournisseur) et de rouler avec. Les données récoltées en temps (presque) réel permettent de savoir très rapidement ce qui se passe et de faire des choix et des réglages.
- pour faire de la maintenance prédictive. « Nous analysons constamment des données critiques, explique Franck Lefèvre, comme par exemple le comportement des cellules de batteries. Cela nous permet d’anticiper les problèmes et de prévoir des actions de maintenance. Cela nous donne les moyens, en particulier, de rendre les batteries très réparables car chaque cellule est monitorée. Nous utilisons dans ce but des grosses cellules et non pas une myriades de petites, ce qui les rendraient non monitorables (trop nombreuses…) et non réparables, comme c’est le cas de la majorité des véhicules électriques. »
- Les données sont mises à disposition des clients gestionnaires de flottes afin qu’il puissent mieux comprendre l’usage des véhicules et donc mieux les optimiser. Exemple : où mettre les bornes de charge pour qu’elles soient vraiment utiles…
En attendant Lormauto vend des voitures parce qu’il faut bien faire tourner l’entreprise. Mais elle a mis en place avec la vente un contrat de buy-back qui assure au client un prix auquel Lormauto lui rachète le véhicule après une durée déterminée.
Un modèle économique innovant
On l’a vu, le modèle économique de l’industrie automobile est de pousser ses clients à souvent acheter des véhicules neufs. Les stratégies marketing et commerciales consistent d’ailleurs à flatter l’ego des propriétaires avec des arguments de puissance et de modernité.
Or, même si la filière automobile a fait des progrès en matière de recyclage, cette stratégie de fuite en avant est suicidaire. Un non sens écologique.
Lormauto a pris le contrepied de ce modèle. Elle estime que l’usage prime sur la possession et qu’une voiture ne doit plus être un bien de consommation durable.
Lormauto propose ses véhicules à la location et à la vente. Mais pour eux, le vrai modèle modèle ne peut être que la location. Pour cela, il faut trouver des véhicules financiers dont le rentabilité est obtenue par la durée du contrat et non pas pas la marge commerciale prise sur l’argent (> 10% !) lors du transfert de propriété.
Dans le système financier actuel, la banque a tout intérêt à entretenir le mouvement perpétuel d’achat-revente-achat pour placer des nouveaux financements aux consommateurs.
Aujourd’hui, à ma connaissance, aucun organisme financier n’a saisi le bénéfice qu’il pourrait tirer de l’inversion de cette logique consumériste. En finançant la location ou la vente d’un véhicule durable et modernisable, il assure la rentabilité de ses produits financiers.
« Ces véhicules financiers n’existent pas aujourd’hui, explique Franck Lefèvre, car les financiers sont conformistes et ne vont pas encore dans ces directions. Cela viendra et semblera normal à tous dans quelque temps. Nous sommes en train de finaliser un tel système avec une banque dont le patron a décidé de se lancer sous sa propre responsabilité. Nous pourrons donc louer des véhicules – que à des pro dans un premier temps – tout début 2025. »
En attendant, Lormauto vend des voitures parce qu’il faut bien faire tourner l’entreprise. « Mais nous avons avec la vente un contrat de buy-back, précise Franck Lefèvre, qui assure au client un prix auquel nous lui rachetons le véhicule après une durée déterminée.«
Travail et aménagement du territoire
Lormauto innove aussi dans son organisation du travail. Son usine pilote s’apparente plutôt aux manufactures du XVIIIe siècle. Elle m’a fait penser à celle d’Arc-et-Senans dont s’est inspiré le boulanger Lionel Poilâne pour sa boulangerie : une mutualisation pour fournir les services communs aux artisans. L‘opposé du fordisme. Ce qui ne veut pas dire que Lormauto rejette l’optimisation et la rationalisation du travail, au contraire.
Chez eux, pas de chaîne de montage robotisée mais, comme chez Poilâne, un fonctionnement artisanal industrialisé. Un peu comme dans la célèbre organisation en petites équipes semi-autonomes des années 70 dans l’usine Volvo de Kalmar.
Chez Lormauto, l’équipe standard est composée de six personnes avec des compétences spécifiques (mécanique, électricité…) mais polyvalentes. Des profils difficiles à recruter. Lormauto a donc poussé à la création, à Caen près de son usine, d’une formation à la carte pour répondre à ses besoins.
Dans chaque équipe, un des membres est spécialisé dans les relations avec le magasin pour assurer la continuité de la fourniture des pièces à ses collègues.
On entrevoit bien les bénéfices que les salariés tirent de cette organisation. Le mélange d’autonomie, des responsabilités, de taille humaine de l’équipe et de la finalité de durabilité donne beaucoup de sens à leur travail.
Une manufacture type de Lormauto n’exige pas de gros investissements immobiliers et techniques puisque l’unité de base de fonctionnement est une équipe de six personnes appuyée sur une mutualisation des services logistiques. Pour faire croître l’activité, il suffit d’augmenter le nombre d’équipes.
Alors que l’on parle beaucoup de réindustrialisation et d’aménagement du territoire, la démarche de Lormauto pourrait être observée de près par des collectivités locales qui cherchent à implanter des industries sur leur territoire. Lormauto développe une activité propre, vertueuse, à l’aide de petites unités rapides à installer.
On est loin des giga factories et du syndrome “usine Toyota”, une implantation qui a fait rêver tous les élus locaux à la fin des années 90.