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Concilier qualité de vie au travail avec performance et productivité ? Interview de Franck Lefèvre

Entretien avec Franck Lefèvre, dirigeant de Digital Airways, un « atelier d’innovations digitales » qui développe depuis 1998 des applications et des plateformes innovantes dans le domaine des services, du numérique et de l’industrie. Notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle et des voice bots (assistants vocaux). Une PME de « techos » qui a la particularité d’être installée à Argentan (14 000 habitants), dans l’Orne. Sens donné au travail, structure à taille humaine, qualité des relations avec une vision du management et du recrutement qui repose largement sur la confiance, l’autonomie et l’intelligence collective. Une recette pour concilier efficacité et qualité de vie au travail ?

Zevillage : Avez-vous du mal à recruter pour votre métier dans une petite ville comme Argentan ?

Franck Lefèvre : Non, nous n’avons pas de mal à recruter à Argentan avec les volumes d’emploi qui sont les nôtres. Si nous devions recruter 500 personnes nous n’y arriverions probablement pas. Mais on trouve des gens d’accord pour venir travailler dans une petite ville et qui ont en général choisi ce mode de vie. Parce que tout le monde ne cherche pas forcément le prestige d’une grande entreprise ou un niveau de salaire le plus élevé possible.

Il faut aussi voir aussi que prétendre avoir des problèmes de recrutement est une façon polie de dire qu’on a des problèmes de management.

Parce que si les gens avec qui l’on travaille sont heureux de ce qu’ils font et des conditions dans lesquelles ils le font, l’endroit où il le font passe après. Les candidats regardent l’ensemble des composantes de leur poste.

Donc, souvent, la cause des problèmes de recrutement c’est la difficulté à créer des conditions dans lesquelles les salariés qui travaillent dans l’entreprise ne pensent pas principalement à aller travailler ailleurs, une qualité de vie au travail.

Choisir la qualité de vie au travail

Zevillage : C’est quoi ces conditions à créer ?

F.L. : Cela peut prendre des formes très variables. Chez Digital Airways, c’est une absence totale de compétition entre les gens. C’est aussi la promesse faite aux collaborateurs de leur laisser exprimer leur créativité et la promesse de ne jamais exercer sur eux une pression injuste ou contre-productive.

Quand on recrute, on demande juste deux choses aux candidats : être loyaux vis-à-vis de l’entreprise et de ne jamais mettre un collègue en difficulté. Tout découle de cela : l’existence du principe d’équipe et l’organisation de l’entreprise. Nos salariés sont très auto-organisés, ils n’ont pas de feuilles de mission strictes, les temps ne sont pas ou peu contrôlés. Ce qui est important c’est d’atteindre l’objectif.

Avoir des problèmes de recrutement est une façon polie de dire qu’on a des problèmes de management.

Ces deux principes induisent beaucoup de choses. Aussi bien la qualité du code qu’on produit qu’une bonne documentation, que le fait qu’on parle bien aux gens, que quand on ne sait pas quelque chose on va le demander à l’autre. Si jamais on doit inventer un nouveau système, plutôt que de l’inventer tout seul dans son coin en s’appuyant sur son propre génie, on va le confronter aux autres.

Lire aussi : La Grande Halle de Colombelles veut améliorer la qualité de vie au travail

En tant que gestionnaire de l’entreprise, ce qui est important pour moi c’est le résultat économique. Si ce résultat est bon c’est que fatalement les gens qui y travaillent ont réussi à bien s’organiser. Si on ne produit pas alors qu’on a des clients qui attendent qu’on produise, cela se voit assez vite dans une équipe de la taille de la nôtre. Et si on produit des livrables de mauvaise qualité cela se voit assez vite aussi sur le plan de l’exploitation.

Bureaux Digital Airways
Les bureaux de Digital Airways, élément de la qualité de vie de l’équipe.

Zevillage : Vous nous parliez aussi d’un demi-engagement que vous demandiez à vos collaborateurs ?

F.L. : Oui, je parle de « demi-engagement » car il ne marque pas une ligne rouge comme les deux précédents mais plutôt une direction. Il s’agit d’essayer de toujours être fier de ce que fait son voisin d’en face dans l’équipe. C’est important dans une entreprise comme la nôtre à qui on demande énormément de créativité sur les produits, sur les méthodes et les outils utilisés. C’est pouvoir reconnaître que parfois mon collègue a mieux fait que si je l’avais fait moi-même.

Chez Digital Airways, nous privilégions une absence totale de compétition entre les gens

Les salariés que nous recrutons ne le sont pas pour une compétence sur un outil technique. Passer une annonce sur une compétence est aberrant, par exemple « Recrute développeur PHP ». Cela signifie que la personne qu’on va faire venir va, certes, être très rapidement productive en PHP mais qu’elle va, en général, être incapable de faire autre chose.

On trouve souvent ce comportement chez les « techos » centrés sur une technologie ou un outil. Une attitude qu’on peut résumer par cette petite histoire : « Je reviens de vacances en Grèce, c’est le plus beau pays du monde. » Ah bon, tu en connais d’autres ? « Non, mais ce n’est pas la peine puisque la Grèce est le plus beau pays du monde« .

Donc on se moque pas mal des choses sur lesquelles le candidat a déjà acquis de l’expertise. Car s’il a besoin d’en acquérir d’autres, c’est le soutien de l’équipe qui va lui permettre de la gagner. Cela crée un état d’esprit à l’opposé du dogmatisme : quand on évalue un projet on est ainsi capable de prendre du recul. On ne choisit pas un projet parce qu’on y a déjà passé du temps et sur lequel on va camper.

Zevillage : Vous présupposez les capacités d’apprentissage des candidats ?

F.L. : Oui, et cela se voit dès le début car on met tout de suite les nouveaux arrivants sur des projets hors de leurs compétences. Et l’on voit rapidement leurs capacités d’apprentissage et je dirai même plus, on induit ces capacités. Car un jeune ingénieur ou un étudiant en fin d’IUT n’est vraiment bon en rien et, s’il veut progresser, il doit s’appuyer sur l’intelligence du collectif.

(Photos : Digital Airways)

Voir aussi la vidéo de l’intervention de Franck Lefèvre lors du TedX Caen : Pour une robotique humaniste.

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Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

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