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Elodie Sarfati de PeopleIn : Le télétravail est essentiel pour la marque employeur

Elodie Sarfati a créé la plateforme PeopleIn pour sélectionner les candidats sur leurs compétences, pas sur leur CV. Elle nous parle des méthodes de recrutement, du CV, du télétravail devenu essentiel pour la marque employeur, des freelances, de la recherche de sens dans le travail. Bref, du futur du travail en marche.

Zevillage : Vous avez créé PeopleIn, une startup qui propose une méthode de recrutement assez innovante de présélection des candidats sans CV à l’aide d’un outil digital qui permet de tester des compétences-clés associées à un poste. Pourquoi cette idée ? Parce qu’il y a beaucoup de candidats qui passent sous le radar des recruteurs ?

Elodie Sarfati : C’est une des premières raisons, effectivement. Aujourd’hui, on a des profils de candidats qui sont très différents de ce qu’on pouvait connaître il y a quelques années encore et qu’on exploitait avec le CV. A savoir des candidats qui ont changé beaucoup de secteurs ou de métiers, qui ont fait de nouvelles formations, des formations en ligne, des formations courtes, des formations supplémentaires, qui se sont reconvertis professionnellement. Et ces profils, qu’on appelait autrefois des profils atypiques, sont en fait de plus en plus courants aujourd’hui.

Ce qui veut dire qu’on a des gens qui, sur CV, ne sont pas retenus parce qu’ils ont des CV parfois illisibles ou parfois des parcours qu’on n’a pas compris en regardant le CV. Et ces profils-là, ils sortent du radar des recruteurs et des employeurs. Et du coup, c’est un vrai manque à gagner à la fois pour les entreprises et pour les candidats, parce que ces candidats représentent quasiment une majorité aujourd’hui.

Donc on ne peut plus s’en passer si on veut avoir avec nous des candidats motivés. C’est effectivement la raison principale qui fait que j’ai créé PeopleIn. Parce que mon histoire, c’est aussi celle-là, c’est aussi celle de candidats et de profils qui ont changé de voie, changé de métier et cette envie d’accéder quand même, malgré tout, à des postes sur lesquels on se sait compétents et où on est motivés. Et puis, bien sûr, on devra mettre en adéquation cela avec les besoins des entreprises qui, pour certaines, ont de forts turn over.

On sait qu’il y a 36% de CDI qui sont rompus la première année. On sait qu’un échec de recrutement coûte plus de 40 000 euros à une entreprise. Comment on remet cela en adéquation avec la réalité des candidats sur le terrain.

Zevillage : Les entreprises ont du mal à trouver des profils un peu atypiques. Elles ne sont pas un peu conformistes dans les recrutements ?

Elodie Sarfati : Effectivement, il y a des entreprises qui n’ont pas encore dépassé la barrière du CV, qui ont encore envie d’avoir dans leur équipe des gens qui ont fait exactement le même métier ou la même expérience, alors même qu’on n’a pas besoin d’une expertise. Mais il y a aussi beaucoup d’autres entreprises qui réussissent à dépasser ces limites parce que, tout simplement, elles en ont besoin et elles ne trouvent soit pas de candidats adaptés – elles n’ont pas le choix d’aller chercher ailleurs -, soit parce qu’elles ont compris aussi que la diversité des profils fait de la richesse en entreprise et de la richesse palpable. A savoir aussi bien l’émergence d’idées, d’innovation qu’une ambiance qui est plus agréable et donc plus productive.

Zevillage : Est-ce que cela veut dire que le CV est mort ? Est-ce qu’il sert encore à quelque chose ou plus personne ne recrute avec un CV ?

Elodie Sarfati : Je n’ai pas la prétention de dire pour tout le monde que le CV est mort. Pour tout le monde, en tout cas. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, en phase de présélection de candidats, comme outil de présélection de candidats, à mon sens, il est plus adapté au monde d’aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que, dans un deuxième temps, dans le temps de l’entretien, dans le temps de l’explication plus poussée de ce qu’a pu faire le candidat, il n’a pas son utilité. Il peut en avoir une. Même aussi, il peut avoir une utilité pour se souvenir d’un candidat, à avoir en mémoire certaines données du candidat, pourquoi pas. Mais sélectionner aujourd’hui un candidat sur la première étape via un CV, ce n’est plus du tout adapté.

Il y a trop d’informations manquantes. Il y a trop de disparités dans les parcours et les profils et on ne peut absolument pas lire les compétences des candidats réels. Sans parler du concours qui existe sur la création d’un CV qui va être de dire On est très doué pour réaliser un CV ou on n’est pas du tout doué. Est-ce que c’est une compétence importante ? Oui, si je travaille dans la communication, oui, peut-être dans la gestion de projet. Et encore. Mais est-ce que c’est important et primordial pour tous ? Est-ce que c’est cela qu’on cherche à évaluer ? Je suis n’en suis pas sûre.

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Zevillage : Et on ne va pas voir la créativité ou les fameuses soft skills ?

Elodie Sarfati : On peut en voir une partie, mais après, effectivement, c’est davantage un exercice de style. Aujourd’hui, c’est formaté et recherché, on a des sites qui peuvent les créer pour nous. Ce n’est pas du tout représentatif de ce que peut faire un candidat en situation réelle et c’est pour cela qu’on a créé PeopleIn. C’est pour les mettre dans des situations réelles, même si ces situations sont digitalisées, pour pouvoir proposer des assesements dès la présélection.

Zevillage : D’où vous est venue cette idée de service ? Vous travailliez dans les ressources humaines auparavant ?

Elodie Sarfati : Non, je travaillais dans la conduite du changement. Donc cela touche de près aux ressources humaines puisque dans le cadre de plusieurs projets que j’ai accompagnés, j’ai travaillé aussi bien à la communication, la formation des équipes et également sur de gros projets et la création de nouveaux métiers associés à ces projets. Donc, effectivement, je suis passée par la définition des compétences, l’évaluation des compétences qui étaient associées à ces métiers, comment on fait et qu’est-ce qu’on entend par ses savoir-faire et savoir-être et ses savoirs. Parce que quand je parle de compétence, pour ma part, en tout cas, j’intègre les trois items, savoir-faire, savoir-être et savoir.

Un peu un peu transverse également comme domaine la conduite du changement. Et c’est ce qui m’a poussé, en tout cas par la suite, à créer PeopleIn. C’est effectivement dire Aujourd’hui comment fait pour opérer des compétences si on ne peut pas vraiment s’appuyer sur le CV ou si cela dessert beaucoup de bons candidats et en même temps, du coup, beaucoup d’entreprises. Qu’est ce-qu’on peut être amené à faire d’autre ?

J’ai toujours trouvé que l’assesement était super, mais il existe plein d’organismes d’assesement, même en France. Sauf que cette étape arrive trop tard. Elle arrive en fin de process. On s’est déjà séparé des meilleurs candidats. Donc l’idée, c’était vraiment de ramener cette étape où, finalement, on se rend vraiment compte du potentiel d’un candidat puisque, en situation, on arrive vraiment à voir ce que peut faire un candidat. Mais la proposer dès le départ, dès la phase de présélection. Et là, c’était quand même beaucoup plus parlant et beaucoup plus objectif finalement d’aller présélectionner un candidat sur un résultat fiable et clair plutôt que sur une interprétation d’éventuelles compétences à la lecture d’un CV.

Zevillage : Est-ce que vous avez pâti vous-même de ces lacunes dans la méthode de recrutement ?

Elodie Sarfati : Oui, je pense un peu. Ce qui fait la force d’un entrepreneur, c’est que son entreprise s’appuie sur sa propre histoire. Oui, j’en ai un peu pâti à certains moments, en tout cas dans l’évolution de mon parcours professionnel. C’est ce qui fait que j’ai repris des études. Concrètement, puisque j’avais un niveau bac+3, je travaillais dans la communication initialement et j’ai stoppé. J’ai repris des études et j’ai monté une petite entreprise en parallèle et avec vraiment cette idée de me dire Il faut que je passe un bac bac+5 pour faire plaisir à la société, pour faire plaisir à mes employeurs, parce qu’on va me le demander toute ma vie. Cela va me poursuivre. Donc, je l’ai fait et je ne le regrette pas du tout parce que cela m’a apporté aussi du recul. Et puis de la persévérance et bien d’autres choses.

Mais je pense qu’à un moment donné, je me suis retrouvé confrontée à la réalité de la société. Qui est aujourd’hui de dire, si on n’a pas un niveau bac +5, eh bien finalement, on ne peut pas accéder à des postes intéressants. Et oui, certainement. Ça m’a marqué dans la suite de mon parcours. Du coup, j’ai passé deux masters comme cela. Je me suis dit c’est réglé.

Mais je ne pense pas que les masters que j’ai pu passer étaient directement liés à ma performance dans le travail qui a suivi. Maintenant, je pense que j’aurais pu faire les mêmes métiers sans cela. Aujourd’hui, pour mon métier d’entrepreneur, je suis ravie de les avoir faites ces formations, puisqu’elles me sont encore plus utiles aujourd’hui. Donc, ce n’est pas perdu et je pense que mon parcours, qui aurait pu être atypique à une époque, est juste le reflet de plein de gens aujourd’hui en France

Zevillage : Votre entreprise est incubée dans un accélérateur et vous travaillez avec eu à distance. Pourquoi vous avez ressenti ce besoin d’accélération dans la vie de PeopleIn ? Vous cherchez quoi ? Des fonds, de la méthode ?

Elodie Sarfati : Pour les deux raisons que vous venez de citer déjà. En tant qu’entrepreneur, on a toujours besoin d’accompagnement. Et là, il s’agissait surtout d’un accélérateur qui a une belle histoire qu’on a trouvé intéressante chez PeopleIn en termes de synergie. Parce que ceux qui ont créé Tomcat Factory, sont des gens qui ont aussi fait grandir une société qui était aussi une plateforme web à destination des comités d’entreprises. Donc ils connaissent l’environnement CE, RH, salariat. Et c’étaient des gens qui étaient orientés B2B aussi. Donc, du coup, on a un peu cette clientèle commune, cette envie commune de percer sur ce type de marché. Parce que concrètement, on vise un développement plus rapide aujourd’hui.

La deuxième chose pour ce développement, c’est que dans un deuxième temps, on va effectivement chercher des fonds. Alors on n’en a pas besoin pour vivre aujourd’hui parce qu’on a des clients et que cela se passe bien En revanche, on a envie de se démarquer de ce rythme d’évolution qui est un peu celui que peuvent avoir certains cabinets de recrutement. C’est juste qu’on ne fait pas exactement la même chose puisque nous on vient proposer l’abonnement à la plateforme et la prise en main de l’assesement et du test par les recruteurs directement. Donc, tout simplement, on a envie de vraiment appuyer cet outil plus que le service. Et pour cela, c’était très utile de rejoindre un accélérateur parisien.

Zevillage : Est-ce que vous observez que le télétravail est devenu une exigence chez les candidats. Avez-vous connaissances de candidats qui auraient refusé un poste parce que le télétravail n’était pas possible ?

Elodie Sarfati : Depuis la crise sanitaire, on a de plus en plus d’entreprises qui, naturellement, proposent de toute façon le télétravail. Mais effectivement, c’est devenu un critère essentiel chez les candidats. On nous le demande à chaque entretien.

Je n’ai pas de cas de refus de poste actuellement parce que parce que les quelques derniers postes effectivement proposaient tous cette option. Pour autant sur la région, en ce moment, on a un poste qui n’a pas la possibilité de faire du télétravail et c’est vrai qu’on nous le demande quand même à l’entretien. Alors je ne sais pas si ce sera un motif de refus. On verra. Le temps nous le dira, mais clairement, là où on ne le demandait pas l’année dernière automatiquement, aujourd’hui, c’est devenu systématique.

Pour l’image de l’employeur de pas le proposer, cela devient handicapant. C’est devenu un élément la marque employeur.

Zevillage : En dehors de cette évolution impressionnante autour du télétravail, qu’est-ce que vous observez comme un changement important dans la manière de travailler depuis l’arrivée de la pandémie ?

Elodie Sarfati : Ce qu’on a pu observer, c’est qu’il y a beaucoup de candidats – et même des gens qui n’étaient pas des candidats mais des employés – qui ont eu un déclic.

Depuis la pandémie, ils ont pris conscience de leur envie de faire des choses qui ont du sens pour eux, d’aller vraiment faire un métier intéressant. C’était déjà une réalité avant, ce besoin de sens, on a parlé d’ikigaï, de se retrouver, de faire quelque chose qui corresponde à ses valeurs, etc. Mais alors là, c’est encore plus frappant. C’est pour cela que je ne suis pas trop inquiète pour les thèses PeopleIn, parce qu’on est de plus en plus dans une réalité de changement de métier, de changement de secteur.

D’ailleurs, l’enquête de Nouvelle vie professionnelle, montre que neuf personnes sur dix ont changé de métier, vont changer de métier ou sont en train de changer de métier dans la vie professionnelle. Donc, en fait, cela s’est vraiment accéléré. Tous ceux qui ont perdu leur emploi se sont posés la question d’une reconversion concrètement aujourd’hui.

On a aussi un autre nouveau mode de travail qui est en train d’émerger. Encore une fois, c’était déjà en montée, en évolution avant la pandémie. Mais là, j’ai vraiment l’impression qu’on a de plus en plus d’indépendants, de gens qui sont prêts à faire le même métier.

Donc, cela veut dire par là, sans expertise particulière, juste d’être un travailleur indépendant dans tous les sens du terme, à savoir l’entrepreneuriat individuel mais aussi et indépendant en terme managérial. J’ai envie de faire ce qui me plait et donc d’avoir plusieurs travails en même temps, faire plein de choses, d’être un slasher.

Zevillage : C’est par nécessité ou par choix ? Ou les deux ?

Elodie Sarfati : C’est la question qu’on peut se poser.  Parce qu’il y a encore cette épée de Damoclès du virus au-dessus de la tête des gens en ce moment. Donc, on ne sait pas trop bien, ce n’est pas bien précis ni vraiment engagé.

Mais, d’après ce que j’ai pu voir, c’est par choix. En tout cas, des gens qui l’ont fait par choix, ils auraient pu avoir des CDD, a priori, pas forcément des CDI. Ou peut-être des contrats d’un an. La situation est un peu instable en ce moment et ils ont fait un choix clair : Je préfère être indépendant aujourd’hui et proposer mes services à plusieurs entreprises qu’à une seule. Mais en même temps, cela ne correspond ni vraiment à mes attentes, ni vraiment à mon besoin de stabilité. Donc, tant qu’à faire, j’aime autant être indépendant. Et cela c’est vraiment ressorti franchement, malgré la situation compliquée. En tout cas, moi, c’est ce que j’ai pu voir. Je ne sais pas si c’est le cas de tout le monde,

Zevillage : Mais les freelances ne sont pas des clients pour vous ?

Elodie Sarfati : Non, ce ne sont pas des clients pour moi. Mais j’ai quand même des des entreprises clientes qui ont besoin de recruter ou d’embaucher ou simplement de repérer des freelances ou des salariés. Cela peut être des freelances qui ont du talent, c’est possible. Donc, une fois que le test est créé, ils peuvent le faire passer à qui ils le souhaitent.

Zevillage : On a parlé de changement de vision chez les salariés. Est-ce que vous notez la même chose côté entreprises ?

Elodie Sarfati : Il y a plusieurs visions qui s’opposent là-dessus. Il y a la vision des RH d’entreprises qui ont fait un pas en arrière d’après certains. Qui auraient mis en pause toute perspective ou projets d’innovation parce que préoccupés par d’autres choses en entreprise, parce qu’on n’a pas envie de prendre de risques en ce moment. Mais je ne le constate pas trop.

Je vois plutôt des entreprises qui ont compris aussi qu’il allait falloir proposer quelque chose de différenciant pour leurs clients. Elles en profitent pour créer des éléments différenciants en termes de marque employeur, en termes de projets pour que justement, après la crise, il persiste un avantage concurrentiel. Parce que cela reste un avantage concurrentiel aujourd’hui d’être capable d’attirer les meilleurs candidats.

Zevillage : Par exemple, sur le télétravail, on a vu un mouvement de recul. On estime que 40% des dirigeants sont toujours plus ou moins hostiles au travail, qu’ils l’ont accepté sous la contrainte de la réglementation sanitaire, mais dès qu’ils ont pu, ils sont revenus en arrière.

Elodie Sarfati : C’est très bizarre sur la question du télétravail parce qu’on a des entreprises et même des grosses entreprises, qui pourraient être structurées. J’ai des cas concrets, proches de mon entourage, qui, effectivement, refusent le télétravail à certains salariés alors même qu’ils ont déjà été coupés du public. Plus de réception publique, plus d’échanges, etc. Par contre, le télétravail, c’est non.

Effectivement, on peut s’interroger sur les motivations de ce genre de décision. Ce que je vois c’est que ces refus créent vraiment un mal être chez les salariés qui en ont besoin ou qui le souhaitent. Et du coup, ce n’est pas du tout du tout productif ni pertinent, en tout cas à court terme. A long terme, je ne sais pas ce qu’ils espèrent, mais à tout le monde n’a pas passé ce cap du télétravail.

A l’inverse, la pandémie a quand même déclenché des idées chez certains, voire de beaux projets. J’ai l’exemple d’un client qui lui a complètement mis ses juristes chez eux en télétravail alors qu’ils ne l’étaient pas avant. Il n’y avait pas pensé, en fait, tout simplement.

Et depuis le confinement, il a remarqué que cela fonctionnait très bien pour ces postes-là, voire mieux, parce les salariés n’étaient pas dérangés, parce qu’ils arrivaient à produire aussi bien, voire plus. Il a donc proposé à ceux qui le souhaitaient un départ en télétravail.

Oui, tout le monde n’a pas passé le cap, malgré l’obligation, voire certains ont eu un recul et c’est très dommage. C’est dommageable parce qu’encore une fois, certains en ont besoin, tant que ce n’est pas un système imposé.

Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

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