La MAIF a mis en place le management par la confiance
Fin 2014, la MAIF, une mutuelle d’assurances qui emploie environ 7 000 personnes, lance un processus de libération de l’entreprise qui repose sur le management par la confiance. Rencontres avec Pascal Demurger, le directeur général, Patrick Blanchard, pilote de l’activité Sinistres de la MAIF, Dominique Movellan, responsable de la mission Ancrer la confiance au quotidien et Olivier Ruthardt, Directeur des Richesses Humaines. A quatre voix, ils m’ont raconté avec passion l’histoire de la libération de leur entreprise.
« Parlons clairement », dit Patrick Blanchard, « si Pascal Demurger ne nous avait pas conduit dans cette direction, nous n’y serions pas allés spontanément ». Patrick Blanchard avait assumé, à partir de septembre 2014, la mission management par la confiance. Dominique Movellan en a pris le relais en 2016.
« Ils portent le projet » m’a dit plus tard Pascal Demurger. Il me fait part d’un bonheur récent, survenu quand un employé l’a regardé les yeux brillants en lui disant : « Vous avez changé ma vie ».
Libérer pour sauver l’entreprise
Les choses ne se présentaient pourtant pas sous les meilleurs auspices lorsque lui fut confiée la direction de l’entreprise en 2009. Les deux principaux contrats étaient déficitaires. Il se doit de redresser la situation. Pour cela, il décide de réorganiser le réseau et de modifier le statut social. Il surmonte le doute syndical en promettant un impact social mesuré et il tient sa promesse. Quelques années plus tard, l’entreprise a retrouvé la santé, « mais nous courrions le risque de perdre notre âme », me dit son équipe.
La MAIF est une entreprise dont la culture est très enracinée. Elle est construite autour de l’idée de solidarité, laquelle amène à une relation de soin, d’attention et en réalité de confiance avec les sociétaires (les clients). C’est à cela que s’identifient les personnels. Le mouvement de libération qui fut engagé représente le paradoxe d’être à la fois extrêmement innovant et de signaler une sorte de retour de l’entreprise à ses valeurs fondatrices. Elle les renforce par l’idée de « symétrie de la relation ». Derrière ce terme, se trouve l’idée que si quelqu’un entretient une relation satisfaisante avec son travail, alors il entretiendra une relation satisfaisante avec le client.
Le retour à la performance opérationnelle avait supposé un renforcement des procédures, lequel pouvait aller à l’encontre de cet objectif, en raison de la multiplication des contraintes et rigidités que cela avait entraîné.
« Je ne supporte pas les mauvais compromis », me dit Pascal Demurger. « En permanence, dans la vie, on est confronté à une opposition entre un intérêt et une éthique. J’ai énormément de mal à accepter l’idée d’un compromis entre les deux. Ma tentation est toujours de sortir de ce plan d’opposition pour me situer sur un autre plan, qui permette de la transcender et de réaliser 100% de son intérêt et 100% d’une posture éthique ».
Repensant aujourd’hui à cette phrase, j’imagine l’opposition que l’on constate généralement aux différents étages des organisations complexes : le siège et les régions, l’état-major et les directions opérationnelles, le marketing et la production, etc. Toute personne impliquée dans la vie d’une entreprise peut revivre des situations concrètes dans laquelle des oppositions de ce type se sont manifestées. D’infinies palabres en résultent généralement, la parole circulant nerveusement entre ces étages, pour produire inévitablement un de ces compromis boiteux dont ne veut pas Pascal Demurger.
Management par la confiance : la sortie par le haut
En quoi le management par la confiance représente-t-il cette sortie par le haut qu’il appelle de ses vœux ?
C’est qu’il ne s’agit plus de laisser des parties de l’organisation débattre dans l’abstrait et produire des doctrines qui s’imposeront au terrain. Tous les termes de l’équation sont remis à chaque personne en situation opérationnelle. Celle-ci met en présence les intérêts et les valeurs dans le cadre d’une situation humaine concrète, laquelle se noue entre elle et son interlocuteur. Cette personne prend la meilleure décision de son point de vue. Le pari est que l’addition de ces microdécisions prises tous les jours de cette manière – responsable, autonome, par une personne à laquelle l’organisation a fait confiance pour évaluer la situation – composera finalement un optimum.
Comment passe-t-on d’une situation dans laquelle tous les mouvements du terrain sont contrôlés par un chef à celle dans laquelle ces mêmes mouvements sont libérés, c’est-à-dire régis par la responsabilité laissée à chacun de réaliser la mission de l’entreprise ?
Pensons à un orchestre traditionnel : chaque musicien interprète la partition, guidé par la baguette du chef. Que se passe-t-il lorsque l’orchestre se libère ? Chaque musicien est porté par la musique qu’il produit et qu’il écoute. Le chef aussi d’ailleurs : ils sont tous au service de la musique :
Le terme de changement n’est pas tout à fait adéquat lorsqu’il s’agit de décrire le mouvement par lequel une entreprise se libère. Cette idée de changement laisse l’impression que l’entreprise passe alors d’un état stable à un autre. Or si elle atteint un état stable en se libérant, c’est en quittant un état de forte contrainte, qui ne pourrait perdurer spontanément. D’ailleurs les organisations qui se maintiennent dans la contrainte hiérarchique constatent une inflation régulière de leurs coûts de structure.
Certes le terme utilisé par mes interlocuteurs est celui d’accompagnement du changement. Je ne le contesterai pas : il est vrai que lorsque vous abandonnez une idée fausse, vous n’agissez plus de la même manière et votre entourage peut avoir l’impression que vous avez changé. En réalité, vous avez gagné en authenticité et vous vous êtes séparé de ce qui vous éloignait de vous-même.
Lancement fin 2014
Néanmoins, se séparer d’idées fausses ou douteuses ou asservissantes, c’est un travail, surtout lorsque le sujet de cette transformation c’est toute une organisation. Ce processus fut conduit à la MAIF avec beaucoup de soin et il se poursuit en laissant à chacun la possibilité de mener sa propre démarche, à partir du point où il en est.
Le coup d’envoi, c’est le séminaire de Poitiers en décembre 2014 où sont conviés les 200 top managers de la MAIF. Pascal Demurger avait invité Isaac Getz à prendre la parole. « Comment se fait-il qu’une organisation telle que la vôtre transforme des personnes intelligentes, énergiques, pleines d’esprits en personnes démotivées » ? leur dit-il. Les certitudes les mieux établies sont ébranlées par son discours : « Un moment disruptif », me disent mes interlocuteurs.
Cette impulsion est immédiatement entretenue. L’idée ayant été lancée que l’entreprise n’était pas très tournée vers l’extérieur, 50 managers partent en exploration. L’exploration, c’est de rencontrer pendant 3 jours des entreprises extérieures, du secteur ou d’un autre secteur. A son retour, l’explorateur réfléchit pendant deux jours au message que cette expérience peut apporter à la MAIF. Des idées nouvelles peuvent faire l’objet d’expérimentations concrètes.
Osons le management par la confiance
En parallèle, 70 managers préparent le séminaire : « Osons le management par la confiance ». Ce séminaire réunira les 700 managers de l’entreprise à La Rochelle en mai 2015. C’est le véritable moment fondateur de ce que l’on peut qualifier d’une révolution dans les méthodes de management de l’entreprise.
« C’était un moment incroyable, La Rochelle s’enthousiasme Pascal Demurger. Jamais je n’aurais cru cela possible. Tous ont ressenti une émotion extrêmement forte et donc forcément, il en reste quelque chose ». Il décrit la nature de la transformation qui fut engagée ce jour-là dans l’entreprise : « Pour les collaborateurs non managers, il n’y a que du plus. On leur donne plus de marge de manœuvre, on leur permet d’avoir plus d’initiative, on leur accorde plus de liberté dans l’organisation de leur travail, on les écoute plus, on les associe plus. […] On veut faire du lieu de travail un lieu d’épanouissement. Forcément 95% des gens s’y retrouvent ».
Un indicateur suivi pendant les 15 années précédentes dans l’entreprise – L’observateur du climat social – atteint, dans les 18 derniers mois, des niveaux jamais vus. Il reste stable désormais. L’absentéisme est à un niveau historiquement bas.
Pour les managers, le passage est plus complexe. Ils sont rassurés parce que l’entreprise leur a annoncé que sa transformation n’avait pas pour but leur disparition. Elle implique qu’ils joueront un rôle différent. Il ne s’agit plus d’obtenir des résultats par la contrainte et par la sanction. L’entreprise attend d’eux qu’ils donnent envie à leurs collaborateurs d’obtenir ces résultats. Qu’est-ce que cela signifie « donner envie » ? C’est une question qui stimule l’imagination de certains. Ceux-là s’installent alors sans difficulté dans le nouveau rôle. D’autres ne savent pas comment s’y prendre.
Une expérience inédite par la taille de l’entreprise
Dominique Movellan a pris désormais en charge le projet Management par la confiance. Elle organise avec certains managers un séminaire à Poitiers, qui réunit l’ensemble des managers en mai 2016. Ce séminaire est intitulé « Vivons le management par la confiance ». Dans ce séminaire sont mis en place les principes d’un accompagnement managérial par la DRH. Cela passe par un plan de formation qui se poursuit aujourd’hui. Le manager est invité à s’appuyer sur ses points forts pour construire sa propre manière d’accompagner ses collaborateurs.
Aujourd’hui, deux ans après le coup d’envoi, le processus se poursuit. On ne peut pas dire qu’il soit achevé mais si on prend comme métaphore celle de la cueillette des fruits dans un arbre, il vient un moment où les seuls fruits qui restent sur les branches sont les plus difficiles à cueillir. Est-ce un phénomène du même type qui laisse perdurer certaines réticences dans l’entreprise en dépit du fait que le consensus s’y est largement établi autour du « management par la confiance » ? En tout cas, on peut penser que l’entreprise saura donner un rôle à leur mesure aux quelques personnes qui ne l’ont pas encore trouvé dans la nouvelle donne.
Ce qui se passe à la MAIF est entièrement nouveau et d’une ampleur inédite. Une entreprise de taille importante et qui exerce des responsabilités considérables se libère. Par son histoire cette entreprise est habituée à se situer à l’avant-garde de sa profession. Ce qu’elle entreprend est donc bien conforme à sa vocation.
Une libération dans le respect de la culture d’entreprise
Cela ne va pas sans provoquer quelques troubles, notamment du côté des organisations syndicales. En effet, celles-ci sont habituées à ce qu’entrent en opposition le bien-être des salariés et la performance de l’entreprise. Evoluant dans un tel contexte d’opposition, elles s’attribuaient le rôle de l’amélioration des conditions de travail, rôle perçu comme un acte militant.
Désormais, l’entreprise œuvre ouvertement et massivement en faveur de cette amélioration. Cela leur pose toutes sortes de questions. L’entreprise est-elle sincère ? N’y a-t-il pas d’arrière-pensées ? Après s’être posé ces premières questions, celle de leur raison d’être survient nécessairement. Après avoir constaté que l’entreprise ne souhaite pas davantage leur disparition qu’elle n’a souhaité celle des managers, l’enjeu pour elles est de trouver leur nouvelle place, dans laquelle le mode conflictuel de relation avec l’entreprise soit dépassé.
C’est ce qu’est en train de réussir, semble-t-il, l’un des principaux représentants syndicaux de l’entreprise, au risque d’être déjugé par sa Centrale. Pascal Demurger cite une de ses déclarations récentes, émise après de nombreuses années au cours desquelles les confrontations et les doutes ne manquèrent pas : « Nous croyons à la sincérité de votre démarche. Nous espérons que vous réussirez et nous ferons tout pour vous y aider ». Il accompagne cette citation de marques d’admiration pour le chemin parcouru par ce syndicaliste et pour son intégrité.
Transmettre des valeurs
J’interroge Pascal Demurger sur le conseil qu’il donnerait à une entreprise qui voudrait engager une démarche similaire de libération et de management par la confiance : « En premier lieu, cela ne peut se faire que dans le plus grand respect de la culture de l’entreprise. En second lieu, cela doit être intégré à la stratégie globale de l’entreprise ».
J’apprécie : les personnes en relation directe avec la clientèle tireront le meilleur parti de l’autonomie qui leur est accordée grâce aux nouveaux outils qui seront mis à leur disposition. L’intelligence artificielle allègera les tâches fastidieuses d’investigation et elle permettra d’accorder toute l’attention requise au discours du client. Celui-ci sera mieux compris grâce aux progrès considérables des instruments de connaissance de la clientèle. Nous voyons ainsi se dessiner la convergence annoncée entre une posture éthique – créer des trajectoires professionnelles motivantes et épanouissantes – et la quête de l’excellence opérationnelle.
Au cours de cet entretien, Pascal Demurger m’a fait l’honneur de me confier un motif de satisfaction personnelle issu de son action à la tête de l’entreprise. Ses enfants n’étaient pas spécialement impressionnés par sa réussite professionnelle, jusqu’au jour où il leur a expliqué ce qu’il avait réalisé. Il a constaté alors que cela éveillait leur intérêt et leur désir d’en apprendre davantage. Cela a donné à ses yeux un sens supplémentaire à son action, de portée considérable : pouvoir la partager avec ses enfants et leur transmettre ainsi ses valeurs.