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Portraits : ils réinventent le travail à la campagne

Ils ont souvent changé de vie et développé leur activité à la campagne dans des domaines très variés. Ils viendront témoigner au festival Réinventer le travail à la campagne et prouver qu’innover est possible. Portraits d’entrepreneurs ruraux par Wilfrid Estève.

Jérôme Briand

Jérôme Briand

Il a lancé sa société de conseil et de dépannage en informatique, Inform’Athis, et vient d’ouvrir une boutique à Athis-de-l’Orne.

« Avant, j’étais commercial dans une autre région, je vendais des fenêtres, mais ça ne me plaisait pas trop comme travail et j’ai été licencié.
Moi et ma femme sommes arrivés dans l’Orne et avons été accueillis à Athis lors de la fête des voisins qui a eu lieu dans notre quartier.
J’ai décidé de créer mon activité de services informatiques à domicile.

Se développer en milieu rural n’est pas difficile si on arrive à se montrer (véhicule, vêtements, flyers) et à fidéliser sa clientèle, notamment par une approche ultra qualitative des besoins du client, et donc une écoute très attentive.
De même, le service ne doit pas s’arrêter après la facturation. Si un de mes clients a besoin d’un petit conseil ou quoi que ce soit, il sait que je suis joignable par téléphone ou email et que je répondrai toujours à ses préoccupations.

Mon activité est plus humaine que ce que je faisais avant dans la mesure où ce n’est pas le produit qui est au centre de l’activité, mais le client et ses attentes. Cela renvoie au service, que ce soit avant, pendant ou après la vente.
J’ai réinventé mon travail dans la mesure où j’ai pu faire coïncider le plaisir que j’éprouve d’être au contact de mes clients et ma passion pour le domaine informatique.»

Sylvie Errard…

Sylvie Errad et Clotilde Labbé

Dirigeante de Crescendo, coopérative d’activités et d’emploi

«J’ai créé Crescendo, parce qu’il y avait un vrai manque au niveau de l’accompagnement sur le test et le démarrage d’une activité. Encore aujourd’hui, les gens qui créent leur entreprise ont très peu d’accompagnement après le lancement de leur activité. Il y a pléthore de propositions avant, mais pas grand-chose après ».

« En plus, le coin est assez sinistré chez nous. Du point de vue industriel, il n’y a plus grand-chose. Pour créer une entreprise, il faut se créer sa niche… Ceux qui s’en sortent, c’est ceux qui sont vraiment dans une logique de réseau, d’aller chercher des partenaires. Ceux qui restent individualistes, tout seuls dans leur coin sur de la petite activité, s’ils ne se décident pas à sortir et à se bouger, ils n’évoluent pas ».

… Clotilde Labbé

Metteur en scène de théâtre. A quitté la région parisienne pour incuber une entreprise d’aide à l’insertion par le théâtre et de création, « Passerelles-Théâtre », chez Crescendo.

« Pendant dix ans, j’ai dirigé une compagnie tant bien que mal à Paris en faisant des petits boulots pour essayer de subvenir aux besoins de ma famille.

Mais à Paris, il y a trop de concurrence, je n’arrivais pas du tout à démarcher comme il fallait, j’en voyais plus la fin. J’en ai eu ras-le-bol de cette vie où j’étais partagée entre des petits boulots pour survivre, mon travail de théâtre et puis ma famille.

En arrivant ici, j’ai eu une écoute, un regard, des envies, des gens qui portaient un intérêt à mon projet…. On m’a dit « tu vas voir untel et untel ». On peut construire un réseau à taille humaine. Ce n’est pas une espèce de monstre à dix mille pieds et dix mille bras. On peut entreprendre autrement, ici, sans négliger l’humain. En travaillant avec des publics en difficulté j’ai envie de leur donner un peu d’espoir et de foi en l’humain ».

Fabrice Leroy

Fabrice Leroy

Ancien ouvrier, il s’est formé puis a créé son atelier artisanal d’artisan bijoutier, joaillier, sertisseur chez lui, à La Carneille.

«Avant, je travaillais dans une entreprise industrielle. J’étais électricien, je devais dépanner les machines les unes après les autres alors que j’ai besoin de créer. Un soir, j’ai mis toute ma vie à plat sur une feuille, j’ai fait la liste de mes passions et de mes envies. J’ai alors décidé de me former en bijouterie-joaillerie à Saumur puis en sertissage à Paris.
Aujourd’hui, je crée des bijoux en pièce unique, principalement en or et pierres fines.

Mon travail, c’est d’abord de rencontrer la cliente qui me commande un bijou, afin de connaître ses envies, et de créer un joyau qui lui ressemble. Puis je lui propose plusieurs croquis et des pierres, afin qu’elle choisisse et modifie pour que le bijou lui corresponde.

Aujourd’hui, je fais ce que j’aime. Je suis bien, c’est mon travail, mais c’est surtout la liberté. Cela ne me coûte pas, même quand j’y passe un temps fou … En fait, ce n’est pas vraiment du travail, c’est du plaisir. »

Nelly Burgos

Nelly Burgos

Infirmière, a créé son cabinet libéral à Saint-Pierre-du-Regard

« J’ai travaillé sept ans à l’hôpital et j’étais un peu lasse de l’institution. Pas du travail auprès des patients, mais de l’institution avec sa hiérarchie. Donc je l’ai quittée et j’ai créé mon cabinet pour prouver que je pouvais réaliser quelque chose avec mes propres idées.

A l’hôpital, ce sont les habitudes de l’établissement qui priment, alors que nous, (mes deux collègues du cabinet et moi), nous nous adaptons aux habitudes des patients. J’avais envie de dispenser des soins autrement, des soins plus adaptés, et de bénéficier de plus de temps pour le faire. Parce qu’à l’hôpital, on passe beaucoup de temps avec les médecins, à gérer l’administratif plutôt que de se consacrer aux patients.

On ne peut pas dissocier le soin de la relation avec le malade, pour moi, ça ne fait qu’un. Et ça, je ne pouvais plus le faire à l’hôpital.

En libéral et en milieu semi rural, on est moins anonyme et on crée des liens plus forts. Je crois que je ne retrouverais pas en ville ce que je connais ici.
Les gens s’y retrouvent, moi aussi. Je suis bien là où je suis, et c’est important, il y a tant de gens qui sont malheureux au travail aujourd’hui ! »

Sylvie Le Calvez

Sylvie le Calvez

Directrice de publication de l’Esprit Village (partenaire du Festival), dont la rédaction est basée à La Carneille

« En 1993, c’était un défi de lancer un magazine sur la campagne, et surtout, réalisé depuis la campagne ! A l’époque, il n’y avait pas internet, et la presse, ça se faisait forcément en ville.

Nous avons installé la rédaction à La Carneille, et prouvé que c’était possible.

Internet a facilité les choses techniquement.

Depuis trois ans, quasiment toute l’équipe a choisi le télétravail. Ce fonctionnement apporte un confort de vie à chacun, une économie de déplacements, d’énergie et de fatigue, et davantage de facultés de concentration. Du coup, nous fournissons un travail de qualité et un bon travail d’équipe : nous sommes branchés presque toute la journée sur Skype.

Il est complexe de prévoir autant de réunions physiques que nous le souhaiterions car c’est compliqué de concilier les agendas de personnes éparpillées sur le territoire. C’est dommage, car c’est important, pour entretenir la créativité, l’émulation, l’innovation et des relations affectives au-delà du travail. C’est le seul bémol que je trouve dans ce mode de fonctionnement : c’est plus difficile de prendre soin les des autres quand on se trouve chacun derrière un écran.»

Miguel Huette

Michel Huette

Ancien aide-soigant en psychiatrie, il s’est reconverti pour créer son exploitation de maraîchage bio, “Les jardins de la Ségottière” , à Saint-Mars-d’Egrenne.

«Le maraîchage, j’y suis venu par le jardinage. Le jardin me servait de sas de décompression, quand j’étais aide-soignant.

Je n’avais pas du tout envie de quitter ce boulot parce que je l’aimais, c’étaient vraiment les conditions dans lesquelles je le faisais qui ne me satisfaisaient plus. Il n’y avait pas toujours de psychiatre disponible dans les services pour s’occuper des patients qui arrivaient des urgences. Et je n’en pouvais plus d’entendre que l’on arrêtait telle activité avec un patient parce que ça mobilisait deux soignants et que ça coûtait beaucoup trop cher.

J’ai eu l’idée de monter une ferme qui tourne d’abord avec sa production agricole, puis de proposer un lieu d’accueil pour des patients de structures psychiatriques.

Depuis quatre ans, je travaille sept jours sur sept de début mars à mi-novembre, entre les préparations de marchés, les marchés, les livraisons de restaurants et le temps passé pour les cultures. Les moments où je galère, ça m’arrive encore de repenser à mon boulot d’aide-soignant et de me dire : « Ben là, j’ai pas à suivre toute la hiérarchie pour obtenir le droit d’acheter cette graine-là. »
« Aujourd’hui, j’ai le sentiment qu’en proposant des produits sains, je continue à œuvrer pour la santé des gens. »

Laurence Féron

Laurence Ferron

Elle transforme les fruits et légumes qu’elle récolte, en confitures et autres confiseries qu’elle vend dans « La boutique de Laurence », à Taillebois. Elle a rénové un gîte et fait de l’accueil téléphonique dans une association.

« J’ai travaillé vingt ans comme bibliothécaire et j’ai beaucoup aimé ce travail. Mais au bout d’un moment, j’en avais fait le tour. C’est alors que ma vie a changé.
J’ai pu acheter cette boutique, projet que j’avais au fond de moi depuis toujours.
Dans ce lieu, sur ce territoire et dans ma maison, je réunis tout ce qui m’anime : faire, rencontrer, partager, transmettre, à travers des pratiques qui me correspondent, en lien avec mon environnement : c’est donc un jardin, où je cueille mes fruits et legumes.

Et surtout un rythme : mon travail est cadencé, que ce soit à la journée ou à l’année, par la météo, les saisons et la campagne. Par exemple, en hiver, j’ai besoin de travailler à l’intérieur. Je fais beaucoup de transformation, je confectionne des chocolats, des pâtes de fruits, des semis. L’été, je suis dans le jardin jusqu’à la nuit.

Aujourd’hui, j’arrive à faire le travail que j’aime, au rythme qui me correspond. C’est dur, je n’arrive pas encore à en vivre. Mais j’y tiens parce que pour moi, c’est ça, reinventer le travail. Et c’est ce qui me rend heureuse. Mais je m’adapte, je réorganise mon projet pour ajouter des activités (gîte, accueil téléphonique), qui me permettent d’avoir un salaire.»

Leslie Soubien

Leslie Soubien

Elle est en train de lancer son auto-entreprise de tailleur de pierre à Ségrie-Fontaine.

« Quand j’étais enfant, je croyais qu’il fallait vivre à l’endroit où l’on travaillait.

Aujourd’hui, j’ai décidé d’adapter mon travail à l’endroit où j’ai choisi de vivre, dans un univers qui me plaît. C’est-à-dire ici, sur ma terre.
J’avais envie d’un métier dans la construction et de travailler la matière.
Tailleur de pierre est un métier complet, global, qui aborde la maçonnerie, l’architecture, l’histoire, et qui permet de travailler des matériaux bruts : la chaux, la pierre, la terre… des produits locaux, qu’on transforme le moins possible.

Je veux aller au-delà de la construction telle qu’on la pratique aujourd’hui, avec  des pavillons pré-formatés, en parpaings et maçonnerie, dont la durée de vie est courte.

Je souhaite me réapproprier les techniques anciennes, travailler comme on le faisait il y a cinq cents ans, avec des matériaux du coin, qui viennent du sol où l’on construit. Et avec une conception de la construction, où l’on pense la matière pour qu’elle fasse un ensemble qui tient (avec des lintaux, des jambages…), de manière à ce que les maisons durent des milliers d’années.

Travailler avec, pour but, la longévité des bâtiments :  quelle gratification, quelle postérité à son travail !»

Sylvie et Didier Ouvry

Sylvie et Didier Ouvry

Dans leur exploitation agricole située à Berjou, ils diversifient leurs activités en proposant du camping, une ferme pédagogique.

«L’industrialisation a touché aussi l’agriculture. Du coup, les exploitants courent tout le temps, débordés de boulot. Le temps où les agriculteurs étaient majoritaires aux conseils municipaux est révolu, c’est devenu  plus rare d’en voir s’engager hors de leur travail.

Dans notre métier, au quotidien, on ne rencontre pas énormément de monde. Situation insatisfaisante pour nous. L’industrialisation ne nous a jamais convenu . Celle-ci a  pour effet non seulement de standardiser les produits mais aussi trop souvent les modes de pensée des Hommes. Nous revendiquons une diversité dans les conceptions et réalisations de chacun.
Les convictions que nous  avons, d’ouverture aux autres, d’être acteurs du territoire, nous nous sommes dit que nous pouvions les vivre aussi sur notre ferme.

C’est pourquoi on s’est ouvert vers un public extérieur à travers la ferme pédagogique et le camping.  On a fait aussi de l’accueil familial, pendant dix ans, ça c’était vraiment super.

Nous nous ouvrons aussi en adhérant à divers réseaux (Accueil Paysan, Suisse Normande Territoire Préservé). En nous engageant dans des lieux hors du cadre professionnel : en participant à la troupe amateur du théâtre de la Boderie, au conseil municipal, à notre Eglise (ERF), aux associations environnementales (AEVN, 50000 Chênes…). tout cela vient enrichir notre vie personnelle et professionnelle, et on ne peut pas faire de concession là dessus ! »

Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

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