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[Podcast #8] Sophie Chaussi, agricultrice bio et créatrice d’une école Montessori

Sophie Chaussi est agricultrice et éleveuse de porcs bio, ancienne citadine séduite par les paysages de l’Orne. Elle a mûrement préparé son projet après une formation dans un lycée agricole.
Entrepreneuse infatigable, elle siège également au Conseil économique et social de Normandie, gère un gîte, est impliquée dans l’amélioration de la filière d’élevage bio et vient de créer une école Montessori rurale.
Un fil conducteur derrière ses activités : elle croit au métier passion et au collectif.

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Zevillage: Tu t’es installée dans l’Orne il y a presque 20 ans et tu as lancée il y a 7 ans un élevage de porcs bio. Pourquoi, ce n’est peut-être pas le métier le plus facile?

Sophie Chaussi : C’est surtout le résultat d’un long processus. Quand je suis arrivée ici pour m’installer définitivement, c’était dans la résidence secondaire de mes parents qui avaient une passion pour les chevaux de trot.

Donc je m’installais dans un petit haras et je venais de rater le concours véto. Je ne savais pas trop quoi faire de ma peau et j’ai fini par trouver le lycée agricole de Sées et ses formations post-bac, notamment le BTS Gestion et protection de la nature, qui m’a bien plu.

J’ai fait ce BTS-là, j’ai travaillé comme animatrice nature pendant une dizaine d’années. C’est l’arrivée de mon fils qui a fait réfléchir.

J’ai adoré mon métier d’animatrice, mais c’est un métier où on travaille les week-end, les vacances, les jours fériés. Quand on se projette comme maman, c’est un peu plus, un peu plus difficile. A sa naissance, j’ai profité, comme beaucoup de mamans du congé parental pour réfléchir et cela m’a amené à me dire que cette maison familiale, ces terres agricoles, plutôt que de les mettre en location, les exploiter moi-même serait une bonne idée.

Zevillage : Parce qu’avant, tu vivais en ville ?

Sophie Chaussi : Oui, j’ai grandi dans le Val d’Oise, en région parisienne, la deuxième plus grande ville du Val d’Oise, à Argenteuil, et je suis passée à Saint Germain le Vieux. 57 habitants.

Zevillage : Pourquoi avoir cette envie de quitter la ville ?

Sophie Chaussi : Je crois que parce que je suis tombée amoureuse de l’Orne et de ses paysages dès le début, quand mes parents ont trouvé cette maison j’avais 6 ans, mais aussi loin que je m’en souvienne, le bocage ornais m’a fascinée. Donc, de toute façon, si j’avais été véto, j’aurais été véto rural et je me serais installée dans le coin.

Zevillage : Donc, tu prends ton congé parental, tu réfléchis. Pourquoi l’élevage d’abord et pourquoi les porcs ?

Sophie Chaussi : Pour l’élevage, je pense que j’ai la fibre. De toute façon, travailler avec les animaux, c’était ma destinée. Que ce soit pour les soigner ou pour les élever.

Et puis, pourquoi les porcs ? Quand j’ai voulu m’installer, j’ai fait énormément de visites de fermes. Toutes les portes ouvertes de fermes bio -je consommaient déjà bio à l’époque, je ne me projetais que la production bio -, j’ai fait toutes les portes ouvertes, j’ai regardé tous les types d’animaux. Et puis, un jour, j’ai visité une ferme qui faisait du porc plein air. Et cela m’a plu. Il y avait un marché aussi, il n’y avait pas du tout de concurrence. Il y avait même un gros besoin d’installations. C’étaient des petites infrastructures légères, donc un investissement de base, pas trop, pas trop délirant. Cela correspondait vraiment à ce que j’avais en tête. L’animal est attachant.

Zevillage : Alors justement, cela ne fend pas le cœur de s’en séparer, de les mener à l’abattoir ?

Sophie Chaussi : Si, si, ce n’est pas toujours facile, c’est peut-être la première chose qu’on m’a dit quand je me suis lancée dans l’élevage. C’est : Fait attention, on a toujours trop tendance à garder des animaux auxquels on s’attache. C’est un peu comme un patron de bar qui voit le fonds de commerce. Il ne faut surtout pas commencer à faire cela. Mais je dirais j’ai préparé les choses en amont. C’est-à-dire qu’avant même d’être agricultrice, j’avais déjà mes petits élevages d’autoconsommation, une basse-cour, quelques moutons. Et très vite, je me suis dit que si j’élevais les animaux pour ma propre consommation, il fallait que je sois capable aussi d’abattre à la ferme et de préparer moi-même les animaux. Donc, j’avais déjà beaucoup travaillé sur cette relation animal-viande. Donc cela a été la continuité. Evidemment, sur les cochons, on n’abat pas à la ferme. On passe par des abattoirs agréés, même s’il y a toujours un petit pincement au coeur, on perd pas de vue les objectifs, lepourquoi on les élève.

Zevillage : C’est difficile de agricultrice, travailler toute seule ou c’est juste du travail ?

Sophie Chaussi : Ce n’est pas facile de rester seule. Et puis, de toute façon, je ne peux pas travailler seule. Je ne sais pas, je n’aime pas travailler seule. Donc, au début, je me suis beaucoup appuyée sur mon mari qui était là en complément, le temps d’apprendre aussi le métier et de pas rester seule face à des problèmes insolubles.

Maintenant, j’arrive à salarier quelqu’un à temps partiel. Et puis, de toute façon, je me suis rapprochée de projets collectifs autant que possible. Je fais partie d’un collectif de producteurs pour mes premiers débouchés, par exemple. Cela permet justement de pas rester seul et d’avoir beaucoup de contacts, de trouver les céréales qu’on n’a pas réussi à produire pour faire les aliments des cochons, de trouver les oignons en production locale pour faire le boudin. Des choses comme ça. Cela reste un travail exigeant, physiquement, exigeant en temps aussi de travail. C’est un métier passion où on ne se pose pas la question de savoir si c’est difficile.

Zevillage : Les difficultés économiques des agriculteurs, tu les vis aussi ?

Sophie Chaussi : J’ai connu et cela va mieux maintenant, mais au début, j’ai connu, comme toute entreprise, toute façon qu’on démarre c’est toujours un peu délicat. Je me suis installée à peu de choses près quand on a eu les problématiques de gel des primes PAC. Il y a eu des années où on n’a pas fait les malins, j’ai gardé un travail à côté de la ferme pour pouvoir passer ce cap-là un petit peu délicat. Là, maintenant, on trouve une stabilité, une rentabilité, c’est ce qui m’a permis d’embaucher quelqu’un. Mais oui, cela reste un métier où il faut être très prudent et ne pas se projeter trop fort dans les investissements pour garder sa liberté. Cela, c’est important.

Zevillage : Pour les débouchés, j‘ai vu que tu transformais toi-même. Tu vends ailleurs?

Sophie Chaussi : C’est du 100% en vente directe. J’ai à peu près la moitié de ce que je produis qui part en région parisienne par le collectif de producteurs dont je fais partie. Le reste part sur des AMAP locales ou de la vente à la ferme. Après, je ne transforme pas à la ferme. J’aimerais beaucoup pouvoir équiper ma ferme d’un labo agréé, mais je suis obligée de passer par des prestataires.

Quand je peux, je mets la main à la pâte. J’aime bien trouver des prestataires qui acceptent que l’on rentre dans les labos pour venir aider, pour venir faire nos propres recettes et leur donner notre teinte à nous.

Zevillage : Justement, je crois que tu investi encore dans la structuration de cette filière en particulier. Tous les problèmes d’abattage en bio, cela à l’air assez compliqué ?

Sophie Chaussi: Oui, mais pas qu’en bio. Les abattoirs de proximité, c’est une vraie vraie problématique. J’aurais tendance à dire que la crise sanitaire va nous aider puisque les gens demandent de plus en plus de consommation locale, de circuits courts et que, du coup, cela amène de l’eau au moulin de gens comme moi qui, depuis des années, réclament des outils de production de proximité, que ce soient les abattoirs ou les labos de découpe.

Ce n’est pas toujours les abattoirs qui découpent et il faut faire des kilomètres pour trouver des établissements. Et souvent, ce sont des établissements industriels qui ont des contraintes et des exigences qui ne correspondent pas aux petits producteurs comme moi. Maintenant, il y a plusieurs projets dans le secteur, notamment, qui nous donnent l’espoir de pouvoir avoir enfin plus proche de quoi abattre et découper nos animaux de façon correcte sur tous les plans. Que ce soit sanitaire, respect de l’animal et qualité aussi des produits qui sortent de tout cela.

Zevillage : Justement, à propos d’abattage, est ce que tu te sens concernée par tous ces problèmes autour de l’abattage, de mauvais traitements faits aux animaux ? Comment est-ce que tu le vis ? Est-ce que tu le prends pour toi, même s’ils sont bien traités?

Sophie Chaussi : Oui, bien-sûr, ils sont bien traités chez moi. Et justement, chez nous on essaye de respecter au maximum le bien-être animal et leur comportement naturel et on fait tout ce qu’on peut.

Et c’était très frustrant de se rendre compte que dès qu’ils quittaient la ferme, dès qu’on perdait la main sur ce suivi-la, nos animaux n’étaient plus du tout respectés. Alors, ça a été une longue recherche pour moi pour trouver un abattoir qui corresponde à mes critères. Dieu merci, j’en ai trouvé un. Il n’y en a qu’un. Pas trop loin, à une quarantaine de kilomètres de la ferme, c’est tout à fait raisonnable.

Malheureusement, cet abattoir-là ne me fait pas la découpe.

Donc après, il faut que je transporte mes animaux un peu plus loin. Je préfère transporter les carcasses que transporter les animaux vivants sur des plus grandes distances. Donc, c’est un combat assez long et que je ne soupçonnais pas. On ne peut pas, par exemple, récupérer avec certitude le sang de ses propres cochons quand on habite à 20 km de Mortagne-au-Perche, capitale du boudin noir, moi, cela me posait un problème existentiel d’être obligé de récupérer du sang, mais pas le mien. J’ai résolu ce problème en trouvant cet abattoir. Il n’y en a qu’un qui me permet la traçabilité de mon sang, parfaitement.

Zevillage : On parle toujours des élevages de porcs concentrationnaires, des mauvais traitements, de l’entassement des animaux. C’est quelque chose qu’on voit encore ?

Sophie Chaussi : Oui, oui, je dirais malheureusement plus de 95 % des porcs, de la viande de cochon que vous mangez qui est produite comme cela. C’est assez dramatique quand on connaît l’animal qui a vraiment besoin de retourner le sol, de s’occuper, etc. Alors il y a beaucoup de progrès qui sont demandés, qui sont programmés.

Mais le temps que le système évolue, que les producteurs aient le temps et la possibilité de faire les investissements, c’est très, très lent. C’est beaucoup trop lent. Ce n’est pas concevable, en fait, d’élever autant de cochons qu’on produit actuellement avec la méthode que moi j’utilise, par exemple.

Cette révolution du bien-être animal elle passera aussi par une révolution de la façon dont on mange, de ce qu’on consomme. On ne pourra pas continuer à produire autant de viande de porc si on veut une production propre et correcte pour l’animal. C’est important de le dire. Ce respect de l’animal n’arrivera que si on arrive à raisonner vraiment notre notre façon de consommer.

Zevillage : Les consommateurs que tu croises, j’imagine, en sont conscients. Est-ce que tu penses que c’est une évolution de prise de conscience dans la population, réelle ou pas du tout ?

Sophie Chaussi : Oui, il y a une prise de conscience. Mais entre la prise de conscience et le passage à l’acte, il y a toujours une inertie et une inertie trop importante quand on parle de souffrance animale, par exemple. Mais les gens veulent bien évoluer. Cependant, il y a beaucoup de choses à faire changer pour cela, que ce soit sur la quantité de viande ou sur la façon de cuisiner ou sur le prix qu’on est prêt à payer un kilo de cochon. Ces freins-là sont longs à lever pour que les gens passent vraiment à l’acte.

Évidemment, dans ma clientèle, j’ai des gens qui ont déjà fait ces démarches-là et qui le font même de plus en plus. J’ai dans ma clientèle, par exemple, des végétariens. C’est étrange. C’est des gens qui se disent si un jour je dois acheter de la viande pour une raison ou pour une autre, je viens chez toi parce qu’ils ont bien regardé ma façon de faire. Mais on est loin d’avoir un changement de masse.

Zevillage : Pour changer de sujet, justement, comme si tu n’avais pas assez de travail, tu t’es lancée dans la création d’une école Montessori qui a ouvert il y a deux mois, il y a eu pas mal d’embûches à cause de la Covid, qui devait ouvrir en début d’année. Pourquoi tu t’es lancé là-dedans ?

Sophie Chaussi : Parce que je n’aime pas dormir la nuit. Non, c’est toujours pareil. Mon petit garçon n’était pas heureux dans l’école publique classique. L’École publique ne pouvait pas s’adapter à ses particularités. On a essayé de trouver des solutions. On n’a pas trouvé de solution. Donc un moment, c’est la scolarisation à domicile qui s’est imposée, cette fameuse instruction aux familles si décriée là, tout de suite maintenant.

Il n’empêche que si je n’avais pas pu avoir recours à cela, je ne sais pas ce que serait devenu mon petit garçon. À ce jour, on a fait 3 ans d’école à la maison qui a été vraiment salutaire au début. Sauf que j’habite un tout petit village où il y a très peu d’enfants. Autant remplacer les apprentissages c’est une chose, autant remplacer la récréation, c’est compliqué. Ce gros besoin de socialisation, aussi important pour la construction d’un enfant, j’avais du mal à le pallier puisque j’avais la ferme en parallèle. J’avais du mal à le pallier avec les rencontres qui se font plutôt bien entre familles qui font l’instruction en famille. Et puis, au fond de moi, je savais très bien faire l’école à son propre enfant, surtout quand on en a qu’un, cela a des limites. J’atteindrai à un moment mes limites sur les aspects, les matières où je ne suis pas à l’aise. L’idée était quand même de retrouver une scolarisation à plusieurs.

Il y avait il y a quelques années un projet d’école Montessori à Alençon qui m’a permis de rencontrer plein monde autour de ces motivations-là. Et ensuite, ce projet n’a pas abouti. Mais par contre, cela m’a permis de rencontrer une personne encore plus motivée que moi, Laure Wivoet, avec qui j’ai créé cette école à Semallé il y a maintenant deux mois. C’était prévu pour septembre mais le contexte sanitaire a fait qu’on a ouvert début novembre.

Zevillage : Vous avez réussi à ouvrir pour combien d’enfants ?

Sophie Chaussi : On a 12 enfants inscrits actuellement. On avait prévu une quinzaine d’enfants pour notre première année. On n’est pas si loin de notre objectif, même si on aurait bien aimé trouver les trois enfants qui nous manquent. Et l’école est prévue pour une quarantaine d’enfants. Et on a pas mal de contacts pour la rentrée prochaine, surtout chez des petits pour leur première scolarisation.

Donc, on est assez confiant sur la suite des événements.

Zevillage : C’est bien-sûr une école hors contrat dont les coûts sont supportés par les parents uniquement. Pour que cela soit viable et supportable, il faudrait combien d’enfants?

Sophie Chaussi : Il faut qu’on dépasse la vingtaine d’enfants pour avoir une vraie autonomie financière. Donc, il faut qu’on continue à se faire connaître et à faire nos preuves. Je pense qu’il y a beaucoup de familles aussi qui attendaient que l’école existe. Parce que des projets, il y en a plein, que c’est difficile de se projeter. Quand on a une scolarité à 4 200 euros l’année, on veut être sûr aussi de où on met ses enfants. C’est plus facile de venir visiter un établissement qui fonctionne déjà que de s’engager sur un projet. Donc je me dis qu’il faut qu’on fasse nos preuves et qu’on existe. Et la suite va se faire. On sait que la demande est importante. Après, on est dans l’Orne, c’est un challenge. On a maintenu des tarifs même si cela paraît élevé, qui sont tout à fait corrects pour une scolarité de cet ordre-là. Il faut savoir que dans l’école publique, un enfant, c’est autour de 6 à 6 800 euros par an. Là, on a une scolarité à 4 200. Difficile de faire moins. Et puis, en plus, si on fait moins, pour l’instant ce serait au détriment de l’aspect social de nos salariés. Il faut qu’on puisse les rémunérer à la hauteur de leurs compétences et de ce qu’on leur demande.

Zevillage : Il y a des fratries dans les enfants ? Vous le cherchez ou pas ?

Sophie Chaussi : Pas forcément, non, non. Mais il se trouve que l’amie avec qui j’ai créé l’école a quatre enfants, donc ça meuble une partie de l’école. Je n’en ai fait qu’un moi, cela fait une moyenne. Et puiscc’est souvent délicat pour les parents d’inscrire un seul de leurs enfants dans ce genre d’école et de laisser l’autre dans une pédagogie très différente. À part impossibilité économique ou vraie spécificité de l’enfant, en général les parents mettent l’intégralité de la fratrie à l’école.

Zevillage : Pourquoi avoir choisi la pédagogie Montessori et pas d’autres écoles alternatives ?

Sophie Chaussi : Des histoires de rencontres, je pense, déjà, comme pour les cochons. Il vous suffit de faire les bonnes rencontres et de trouver les personnes qui savent communiquer leur intérêt pour ce genre de pédagogie. Et puis aussi parce que c’est quand même une pédagogie qui est reconnue, qui est, j’allais dire, compatible avec le système d’évaluation de l’Éducation nationale ou en tout cas, qui existe depuis suffisamment longtemps et qui a une structuration assez précise et scientifiquement basée, qui permet de se rapprocher du fameux socle commun de connaissances, de compétences et de culture qui est la référence légale en termes d’éducation en France. Donc on fait le parallèle assez simplement entre notre progression montessorienne et la progression nécessaire pour que l’Éducation nationale puisse évaluer si notre travail est correct.

Zevillage :  Vous avez lancé ce projet il deux ans Mais il y avait un autre projet dans Alençon qui a connu plein d’embuches, plein de problèmes. Tu peux nous résumer ce qui s’est passé. Pourquoi tant de difficultés ?

Sophie Chaussi : Déjà, je pense que le premier projet a essuyé les plâtres, comme toujours. Donc, il a permis de révéler le besoin du territoire en pédagogie alternative. Il a permis de faire rencontrer plein de gens. C’est un projet assez ambitieux et très participatif. C’est tout à l’honneur de la personne qui gèrait ce projet parce que, du coup, c’était une grosse machine à organiser et à traîner. Après, le problème de ce projet, ça a été une mauvaise rencontre en l’occurrence. Et du coup, on a fait confiance aux mauvaises personnes qui nous ont fait miroiter des facilités économiques pour réaliser le projet. Et en fait, il s’est avéré que ce n’était pas un partenaire fiable et malheureusement, cela a épuisé les énergies de voir se retrouver désenchantée par rapport à quelque chose qui devait avancer très vite. Il a fallu pour tout le monde faire une pause et laisser retomber un petit peu ce désagrément. Mais cela n’a quand même pas tout éteint les motivations. Loin de là. La preuve. Et puis, la preuve aussi que l’on retrouve dans nos inscrits et dans nos sympathisants et dans nos supports beaucoup de gens qui étaient présents dans le premier projet qui a vraiment a été le tremplin de ce projet.

Zevillage : Est-ce qu’il y a des difficultés avec l’Éducation nationale quand on lance une alternative comme celle-là ?

Sophie Chaussi : Jusque là, non. Je ne sais pas de quoi demain sera fait vues les volontés de notre ministre de l’Éducation actuellement. Non. Franchement, on ne peut pas se plaindre. On a eu une écoute, on a eu beaucoup d’échanges avec les différents services de l’Éducation nationale. On ne va pas dire qu’on est accueilli à bras ouverts et encouragé, mais en tout cas, on n’a pas de bâtons dans les roues et on a une discussion saine qui nous rappelle à chaque fois le cadre légal. Donc, je n’en attend ni plus ni moins de notre institution qui restera une institution de tutelle puisque c’est malgré tout eux qui nous autorisent à ouvrir et eux qui viennent contrôler l’efficacité de notre travail.

Zevillage : L’École a un nom ?

Sophie Chaussi : Oui, elle s’appelle l’école Graines d’ormeaux.

Zevillage : Pour réussir, pour avoir un plein succès en dehors d’un nombre d’élèves suffisant, il faudrait quoi ?

Sophie Chaussi : Ce qu’on aimerait vraiment, c’est réussir à faire un établissement ouvert et vivant, faire un lieu de vie plus qu’une simple école. C’est tellement difficile, en cette période de crise sanitaire, d’avoir ce genre d’objectif. Pour l’instant, on se concentre déjà sur l’installation de l’école. Le fait que les groupes et les enfants soient bien posés, bien installés, que l’équipe pédagogique se structure, se renforce et s’installe aussi. Mais l’idée est vraiment d’avoir tout un microcosme qui se crée autour des pédagogies alternatives, de la parentalité proximale. Donc, on est ouverts quatre jours par semaine pour l’école, mais on a plein d’envies pour les autres jours de la semaine. On attend de voir comment on peut faire réseau, faire groupe, accueillir du monde. Pour l’instant, c’est vraiment vraiment limité.

Zevillage : On n’a pas parlé des principaux intéressés. Qu’est-ce qu’ils en disent les enfants ?

Sophie Chaussi : Les enfants, ils ont l’air plutôt contents. On a beaucoup d’enfants de plus de 6 ans, des enfants qui ont connu une autre scolarisation avant.

Ils sont tous venus chargés de leurs petites particularités, leurs soucis, leur histoire avec l’école. Certains ne passaient plus une porte d’école. Et là, ils sont là, et ils sont bien. On a parlé confinement il n’y a pas longtemps avec mon fils. Je lui ai dit que peut-être les écoles allaient fermer de nouveau et il m’a dit : Pour une fois que j’aime une école, ce serait dommage qu’elle ferme. Donc voilà. Rien que de les voir arriver heureux et avoir du mal à repartir le soir, on a du mal à les mettre dehors le soir, c’est bon signe aussi, je pense qu’ils sont pleinement satisfaits.

Zevillage : Qu’est-ce que tu vas entreprendre comme chantier maintenant que l’école est sur les rails ?

Sophie Chaussi : L’école, je pense qu’elle va me prendre encore pas mal de temps. Moi je ne chante pas victoire avant d’avoir déjà fini cette année scolaire et même l’année suivante.

Parce que, je pense, il faut de toute façon au moins trois ans pour lancer un projet de façon solide. L’École va encore me prendre pas mal de temps.

Ce côté collectif que j’évoquais à l’instant pour moi, c’est vraiment la façon dont la société va évoluer. En tout cas, c’est le sens que va prendre la société. Les choses communes et collectives, donc, que ce soit pour l’école ou que ce soit pour ma ferme, je reste en éveil sur tout ce qui est fonctionnement collectif, élément partagé. C’est des choses qui prendront encore plus de sens demain dans une société qui va devenir de plus en plus difficile. Le temps de l’individualisme, pour moi, est révolu.

Je garde mes antennes ouvertes pour ça, mais pour l’instant, mon emploi du temps est suffisamment chargé et ne me tente pas sur de nouveaux projets.

Zevillage : Tu as aussi lancé un gîte qui t’occupe un peu aussi j’imagine ?

Sophie Chaussi : Ce gîte là, par exemple, on l’a lancé avec au début assez peu d’idées, sinon d’accueillir du monde avec des annonces type Airbnb assez simple. Complément de revenu et exploitation d’un lieu pour toujours pareil d’une maison qui s’abime plus à ne pas être utilisé qu’à être utilisée. L’idée était plutôt là.

On a commencé par louer en colocation à des étudiants du lycée agricole. On est à une dizaine de kilomètres, c’est un peu loin, ce n’était pas toujours évident. Donc, ce gîte touristique s’est imposé petit à petit à nous. Et puis finalement, on y accueille aussi nos Wwooffers. Si tu connais le wwoofing, une plateforme internationale d’entraide dans les fermes bio contre le gîte et le couvert. Mine de rien, de temps en temps, ce sont les  wwoofersqui occupent le gîte. Et puis, on s’est rapproché aussi d’une petite startup qui vend des box de séjours tout compris, séjours avec activités et repas. Et, de temps en temps, je me rapproche de mon ancien métier d’animatrice qui me manque toujours autant et je fais découvrir à des citadins ce qu’est la vie à la ferme, ce qu’est la nature et notre campagne environnante. Et on les nourrit avec des bons produits locaux. Et ce gîte qui, au début, est parti de trois fois rien, va dans le sens de cette vie collective qmi M’intrigue et qui m’intéresse tant.

Zevillage : Tu n’as pas pu t’en empêcher…

Sophie Chaussi : Je n’ai pas pu m’en empêcher, non. Et puis cela évite la solitude de l’agriculteur.

Zevillage : En plus de ce gîte, tu as maintenu un travail en plus de ton travail d’agricultrice, qui consiste en quoi alors ?

Sophie Chaussi : Du coup, ce n’est pas un vrai emploi. C’est comme un mandat de représentation puisque je siège au Conseil économique, social et environnemental (Ceser) de la région Normandie. Cette instance, pas très connue, est une instance consultative, la deuxième instance de la région après le conseil régional exécutif, il y a le Ceser, qui est purement consultatif. On a pas mal parlé ces derniers temps du Cese, son équivalent national avec la Convention citoyenne pour le climat. Cette opportunité-là, elle est arrivée un peu avant mon installation à la ferme et je l’ai maintenue, comme je disais tout à l’heure, parce qu’il a fallu pallier quelques gels de primes et d’aides au début de mon installation. Et au final, j’y trouve aussi une bonne stimulation intellectuelle et quelque chose qui est bien complémentaire du travail très manuel de la ferme. Je trouve cela assez complémentaire en termes d’équilibre global de ma personne.

En plus, c’est pour moi de la politique citoyenne par excellence et du coup, on est consulté sur énormément de thématiques qui intéressent la région. On travaille sur d’autres thématiques qui pourraient intéresser le conseil régional à la suite. Par exemple, j’ai travaillé sur un rapport sur les abattoirs en Basse-Normandie et c’est vraiment des questions d’actualité et typiquement normandes qui font qu’on est vraiment installé et imprégné du territoire dans lequel on vit. Je trouve cela vraiment vraiment motivant et intéressant.

Cela prend du temps, plus ou moins, en fonction des périodes et des investissements qu’on met dans les différents dossiers à thèmes. Mais c’est un moyen de se sentir acteur de son territoire, au sens premier du terme.

Zevillage : C’est bénévole ?

Sophie Chaussi : Ah non, c’est rémunéré. C’est pour cela que je parlais de travail et que ça m’a permis de tenir dans les périodes un peu plus difficiles. Après, c’est une indemnité, comme on dit, comme un comme un élu. Comme quand on a un mandat électif et une demi-indemnité de conseiller régional. Donc on ne va pas cracher dessus. C’est évidemment utile dans les périodes les plus difficiles de l’agriculture,

Zevillage : Tu as l’impression que ton travail est utile ou que tu sers de caution à une politique globale régionale. Cela reste dans un tiroir votre travail ?

Sophie Chaussi : C’est souvent ce qui est reproché aux Ceser et au Cese aussi. Et c’est pour cela que régulièrement, ils sont remis en cause par certains décideurs nationaux.

Malgré tout, en Normandie tout au moins, on travaille plutôt bien avec le conseil régional exécutif. Ce n’est peut-être pas le cas dans toutes les régions. Mais on ne peut pas dire qu’on n’est pas du tout entendu. On peut déplorer que nos préconisations ne soient pas suffisamment suivies d’effet. Mais malgré tout, on est écoutés. Et Hervé Morin (NDLR : le président de la région Normandie) a besoin d’expertise et s’entoure souvent d’experts quand il se tourne vers le Ceser. Le Ceser répond toujours présent pour répondre à ses interrogations. Après, on n’est que consultatifs, donc on est souvent frustré aussi dans ce rôle-là. Mais je refuse de dire que c’est totalement inutile. Par contre, il faut la patience et la ténacité.

Site web de l’école Montessori Graines d’ormeaux

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Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

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