Télétravail

Entretien avec Claude Riveline sur le télétravail

A la lecture de ses propos dans un article de L’Atelier BNP-Paribas, j’ai demandé à Claude Riveline, professeur à l’Ecole des mines de Paris, de bien vouloir me recevoir pour une interview. Comment pouvait-on penser de telles horreurs sur le télétravail quand on enseigne dans la prestigieuse Ecole des Mines et que l’on a formé une grande partie des patrons actuels du CAC 40 ? Je n’ai pas été déçu.

Dans cet article, Claude Riveline affirmait : « C‘est une profonde bêtise de penser que le télétravail est l’avenir de l’entreprise. Bien sûr c’est une méthode de gestion de l’entreprise et d’organisation qui peut s’appliquer dans certains cas. Mais je maintiens l’idée que sentiment d’équipe et de voisinage sont incontournables pour le travail en entreprise.»

Tout d’abord, les propos que lui attribue l’article de l’Atelier, hors contexte, traduisent à peu près l’inverse de sa pensée. De plus, il se demande encore pourquoi on a intégré son témoignage tronqué dans un article qui n’avait rien à voir avec le sujet de son interview…

Bref, j’avais l’air d’une andouille, désagréable de surcroît. Mais il m’a quand même reçu avec un air légèrement pincé qui a rapidement tourné au goguenard : « Le privilège d’être vieux c’est qu’on a vu toutes les modes de management. J’ai tout entendu sur le télétravail ».

Le télétravail, ne serait donc qu’une mode de management ?

« Quand cela marche, c’est fabuleux », s’enthousiasme Claude Riveline ! « Par exemple, la téléconférence peut être d’une efficacité foudroyante. On se réunit aux quatre coins de la Terre, on se voit, on se montre des documents, on se montre des objets. Mais, si en une heure on n’est pas arrivé à résoudre son problème, on va y passer des semaines. »

« Alors, il faut aller sur place », continue-t-il, « voir les gens, discuter avec eux. Cela prouve qu’il y a un obstacle qui ne peut pas être vaincu par l’échange d’images et de données. »

Ce n’est donc pas le télétravail qui est mauvais mais son abus. « Toutes les modes managériales sont comme cela. Faire du télétravail le tout de la réussite future ou de dire que cela ne servira à rien, c’est de l’idéologie. » Un peu comme le téléphone ajoute-t-il. « Le téléphone portable nous fait sentir les limites du téléphone parce que trop d’information tue l’information. Les excès de l’outil se retournent contre lui».

« Ce qui passe très bien avec le télétravail c’est tout ce qui est objectif : 0 ou 1, oui ou non. Mais quand on est dans le non invraisemblable (en sciences ce qui domine ce n’est pas le oui ou le non c’est le « peut-être ») l’échange à distance est moins facile. »

Mais alors télétravailler ne serait pas dangereux pour le lien social ? « L’avidité de lien social est universelle. Or si le lien social, avec tous ses ingrédients, est rompu parce que la relation est résumée au télétravail, il y a une déperdition humaine. Mais, si cette perte est compensée par le fait qu’on se voit, qu’on se parle, je n’ai plus rien à dire. »

Lire aussi ce texte de Claude Riveline, Nomades et sédentaires, l’irréductible affrontement (fichier PDF à télécharger) qui relativise et place dans une perspective historique le débat actuel sur le télétravail.
A propos de nomades, voir aussi cet article.

Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page