Gauthier Toulemonde, télétravailleur de l’extrême dans le désert
Gauthier Toulemonde est reparti pour une aventure de 35 jours. Après une île déserte au large de Sumatra en Indonésie, il s’est attaqué au Rub al Khali, un immense désert de 650 000 km² qui s’étend du Qatar au nord au Yémen au sud. Sa tente était plantée à Oman, non loin de la frontière saoudienne. Entretien avec un télétravailleur de l’extrême.
Zevillage : Comment se sont passés votre voyage et votre installation ?
Gauthier Toulemonde : J’ai été accompagné par Ahmed al Marooqui, un spécialiste qui sillonne le désert avec un dromadaire et un chien qu’il ma d’ailleurs laissé pour l’expédition. Pendant les trois premiers jours on a cherché à dos de dromadaire l’emplacement idéal pour le camp.
L’univers est carrément hostile, on le nomme le « Quart vide » car personne n’y réside. La tente était petite et l’abri s’est révélé fragile. La toile de protection a éclaté le second jour et j’ai dû bricoler une tente qui donnait un semblant de protection contre le soleil. La saison chaude est arrivée très vite. Dès la deuxième semaine j’ai affronté une température de 50° C de 10h à 16h. Il y avait facilement 55-58° C dans la tente. Mon ordinateur a d’ailleurs littéralement fondu. Heureusement, j’avais emporté un autre de secours, un Panasonic « durci » qui m’a permis de travailler. Sans cela j’aurai du repartir.
Impossible de se concentrer entre midi et 14 heures. Et comme j’étais venu pour travailler, j’ai failli abandonner deux fois. Le désert ressemblait par moments à une prison avec une cellule de 3 m2, ma tente. Le gardien était le soleil, impossible de s’échapper !
J’ai pas mal travaillé la nuit, il faisait moins chaud, en moyenne 20/25° C.
Deux semaines se sont révélées nécessaires pour collaborer efficacement avec mon équipe basée en région parisienne et à Lille. On pense avoir tout prévu mais on sous-estime toujours les difficultés.
Zevillage : Seul dans le désert c’est plus difficile que seul sur une île ?
G. T. : Le moral était variable selon les heures et le niveau de la température. Il faut de l’endurance et de la ténacité pour affronter le désert. Si cela avait été ma première expérience je n’aurai certainement pas tenu. Mais on apprend à se maîtriser, à s’auto calmer. Le vide, le « rien » peut sembler par moment effrayant.
J’ai eu très vite du vent fort et du sable fin qui entrait partout et bloquait périodiquement les touches de l’ordinateur.
Le chien m’a protégé des visiteurs du soir : rats, renards, serpents. J’ai appris plus tard par mon guide qu’il avait vu des scorpions jaunes autour de la tente et qu’il craignait que je sois piqué.
Zevillage : Dans ces conditions extrêmes avez-vous réussi à télétravailler ?
G. T. : Cela a été laborieux, je devais adapter mes horaires en fonction de la chaleur. Le boss, c’est la nature et inutile de lutter contre elle. Ce qui me prenait une heure en France en nécessitait trois là-bas. Les neurones fonctionnent mal avec une grande chaleur.
Il faut aussi se forcer à boire. J’étais à 4 litres/jour puis je suis redescendu à 3 litres. On se surveille car on risque la déshydratation sans s’en rendre compte.
Sur Facebook j’ai eu des contacts avec des jeunes qui commençaient expérimenter la vie de bureau classique et étaient tentés par l’aventure. Agés de 25-30 ans, ils étaient fascinés par cette expérience. On voit bien que les aspirations au travail de cette génération sont différentes. Ce qui leur fait peur c’est la routine, les horaires, la hiérarchie.
J’ai atteint non sans difficulté mes objectifs de travail, d’autant que j’assurais en plus des chroniques pour le Monde et un site de la Poste destinés aux collégiens.
Zevillage : Presque un mois au même endroit, vous être parti pour un tour avec votre guide, un spécialiste du désert. Pour voir quoi ?
G. T. : Cela a été une itinérance de sept jours pendant laquelle je travaillais le soir ou le matin. Je trouvais amusant d’être un authentique nomade digital. Quand vous avez marchez 10 km dans le sable, l’envie de travail le soir n’y est pas trop. Cette itinérance a été aussi l’occasion de partager la vie d’un Omanais. J’ai appris beaucoup sur ce pays que je trouve merveilleux. Ce n’est pas un hasard s’il a été désigné comme la destination touristique de l’année 2017.
La fin du parcours a abouti dans l’océan Indien. J’ai tenu avec la perspective que je retrouverai l’eau. Le premier bain a été extraordinaire d’autant que les plages d’Oman sont magnifiques.
On a le temps de penser aux grands, Théodore Monod, Le Clézio, Laurence d’Arabie, Saint-Exupéry ou Wilfred Thessiger qui a observé les nomades à Oman… Beaucoup ont traversé le désert, j’ai préféré rester au même endroit. Ce n’est pas lassant, le paysage change en permanence et j’ai découvert que le désert était d’une grande diversité s’agissant de la vie animale ou végétale. Les nuits passées sous la voute céleste sont aussi fascinantes.
Zevillage : Vous êtes rassasié avec les aventures ?
G.T. : J’aimerai bien me rendre en milieu polaire. Après j’arrête, j’aurai testé ce que je voulais faire au niveau du travail à distance.
J’envisage ensuite des expéditions d’une autre nature et j’aimerai partager mes 20 ans d’expérience de la vie sauvage.
J’ai un projet de création d’un petit centre de coworking sur une île déserte en Indonésie.
J’envisage d’encadrer de petits groupes, leur apprendre la survie, le travail en milieu extrême, montrer que l’on a tous d’incroyables capacités à se débrouiller, à s’adapter.
Car même si on en bave, être un Web Robinson au moins une fois dans sa vie professionnelle est quelque chose de merveilleux, à tenter.
Cette expérience est fascinante ! J’ai découvert les digital nomads en lisant des blogs de voyage. Mais je n’avais encore jamais vu de Digital Nomad aller si loin dans l’aventure et le voyage. Les conditions me paraissent vraiment extrêmes. Quand je pense que je n’arrivais déjà plus à me concentrer dans un bureau à 40°C, je n’ose pas imaginer les 55°C !
Ma question principale qui reste en suspends suite à la lecture de l’article est : comment Gauthier Toulemonde a-t-il eu accès à Internet ? Quel système a-t-il utilisé ? A moins qu’il y ait de la 3G dans le désert ?
Gauthier a utilisé un téléphone satellite. Un peu cher mais pas d’autre solution.