Télétravail

Télétravail en confinement : la prévention des risques psychosociaux est-elle suffisante ?

Le confinement et le télétravail forcé comme réponse à une pandémie sont prévus par le code du travail. Mais cette situation peut aggraver les risques psychosociaux. Une étude sur les télétravailleurs en période de confinement devrait, à l’avenir, permettre d’améliorer la situation.

Le décret N° 2020-260 du 16 mars 2020 abrogé le 24 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 et la loi N° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ont imposé et précisé le confinement de la totalité de la population française.

En conséquence dans le cadre de plans de continuité, les entreprises ont été contraintes d’organiser le télétravail de leurs collaborateurs du jour au lendemain. Le ministère du travail évoque 8 millions d’emplois concernés par le télétravail contraint par le confinement, soit plus de 4 emplois sur 10.

Le confinement n’exonère pas les employeurs de leur obligation générale de sécurité à l’égard des salariés du code du travail (articles L4121-1 et L4121-2).

Les entreprises sont donc confrontées à une forme d’organisation du travail qu’elles n’avaient pas anticipé et pour certaines jamais expérimenté.

Le télétravail, de quoi parle-t-on ?

Le télétravail, défini à l’article L. 1222-9 du code du travail, désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication.

L’article L1222-11 prévoit qu’« en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ». La situation épidémique actuelle justifie donc le télétravail. Les entreprises sont confrontées à la nécessité de conduire une forme d’agencement organisationnel (Girin 2016 in Aggeri 2017).

Le télétravail occasionnel est prévu à l’article L1222-11 « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés »

Qu’il soit régulier ou occasionnel, le télétravail peut être mis en place :

  • par accord collectif
  • par une charte
  • en l’absence d’accord collectif ou de charte, par un simple accord entre le salarié et l’employeur.

Le contrat de travail n’est pas nécessairement modifié par voie d’avenant. Sauf circonstances exceptionnelles prévues par le Code du travail (menace d’épidémie ou cas de force majeure), le télétravail ne peut pas être imposé au salarié.

Une organisation du travail qui présente des bénéfices et des risques

Le télétravail présente des avantages comme une meilleure qualité de vie au travail (étude Obergo 2018 – PDF), l’impact positif sur l’engagement des salariés (ANDRH 2019), réduction du stress et gain de temps dans les transports (Tissandier et al., 2019 ) et des conséquences parfois négatives (augmentation du temps de travail et de la charge de travail, Obergo 2018, Vayre 2019, conflit travail famille, Dockery et Bawa 2018), quand il est exercé de façon régulière et formalisée.

Ainsi, l’étude Obergo conduite en 2018 évoque une meilleure qualité de vie personnelle. Pour Tissandier et al (2019, p 6), le télétravail agit positivement sur le stress et améliore la productivité.

D’autres auteurs établissent au contraire que ce gain de productivité serait lié à une intensification et densification du travail et que les télétravailleurs tendent à accroître leur temps de travail hebdomadaire (Vayre 2019).

Le télétravail peut conduire à une charge de travail plus importante. Metzger et Cléach (2004, p. 443) constatent que le télétravailleur est amené à travailler sans limite. De même, l’étude Obergo (Lasfargue et Fauconnier 2018) montre une augmentation de leur temps de travail et de la charge de travail ressentie.

La situation d’urgence actuelle contraint les salariés à travailler à distance sans aucune anticipation de leur employeur. Ceci pourrait conduire à des risques psychosociaux.

Le télétravail occasionnel en situation de confinement, analysé en tant qu’agencement organisationnel permet de mieux appréhender les bénéfices et les risques (avantages et inconvénients). Le concept d’agencement organisationnel a été décrit par Girin (1995).

L’agencement organisationnel est un composite, c’est-à-dire un ensemble d’éléments hétérogènes reliés entre eux: hommes, bâtiments, téléphones, ordinateurs, documents, machines et objets de toutes sortes. (Girin, 2016, p.230 in Aggeri 2017 p 25)

Le confinement génère une situation de gestion marquée par la nécessité d’une action collective sur l’organisation du travail dans un contexte de crise sanitaire.

Vers une augmentation des risques psychosociaux ?

Les risques psychosociaux sont définis par l’INRS comme étant des risques inhérents à des situations de travail où sont présents, combinés ou non : du stress, des violences internes commises au sein de l’entreprise par des salariés : harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes.

Il est de la responsabilité de l’employeur d’évaluer ces risques, et de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger ses salariés dans le cadre de l’obligation générale de sécurité à l’égard de ses salariés (articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail).

En situation, de télétravail, l’employeur a les mêmes obligations à l’égard des salariés et il doit prendre les mesures préventives nécessaire pour protéger la santé physique et mentale des salariés confinés. Le télétravail peut aboutir à une certaine porosité de la frontière vie professionnelle/vie privée qui peut devenir dangereuse si le droit à la déconnexion introduit dans le code du travail à l’article L 2242-17, n’est pas respecté.

Et après le confinement ?

La transformation brutale de la nature du travail en situation de confinement avec une relation homme/technologie qui peut être perçue comme intrusive pourrait augmenter le risque de burn-out, l’augmentation de la charge de travail et l’hyper-connectivité. Les employeurs doivent être particulièrement vigilants. La responsabilité des employeurs risque d’être engagée si les outils de préventions ne sont pas mis en œuvre.

Il sera donc opportun d’analyser les pratiques des entreprises en matière de prévention des risques psychosociaux auxquels sont soumis les télétravailleurs salariés à l’issue du confinement.

Une étude effectuée auprès d’une vingtaine de managers

En effet, il apparaît (étude effectuée pendant le confinement), que les télétravailleurs n’ont pas été suffisamment informés par les services RH des conditions de travail (horaires, rythme…) et des risques psychosociaux potentiels (débordement, hyper-connectivité).

Le défi du jour d’après sera donc d’évaluer les risques pour la santé physique ou mentale des télétravailleurs, de mettre en oeuvre les outils de préventions adaptés.

Une étude quantitative que j’ai menée auprès de télétravailleurs a permis d’observer la mise en œuvre du télétravail par les services RH en situation de confinement.

Cent cinquante trois questionnaires auto-administrés via Linkedin ont été analysés et ont permis de conclure que :

  • la population concernée est constituée majoritairement de cadres ayant moins de 5 ans d’ancienneté dans leur organisation. 55% d’entre eux avaient auparavant déjà télétravaillé
  • il apparaît que seulement 33,3% des entreprises concernées ont signé un accord et 34,6% une charte. Seulement 21,6% de ces collaborateurs ont reçu un guide du télétravail. 11,8% d’entre eux ont eu une formation au télétravail. 39,9% des services RH ont délivré une information relative au travail à distance. Les horaires à appliquer n’ont été précié que dans 24,8% des cas. 39,9% des télétravailleurs ont été informé de la nécessité de se déconnecter. 14,4% ont été informés des risques potentiels. 14,4% des services RH ont mis en place des outils de prévention des risques
  • 32,7% des services RH ont mis en place des « bonnes pratiques de télétravail » et ils ont informé les télétravailleurs de leurs droits que dans 12,4% des cas
  • dans la majorité des cas (71,2%) les horaires sont inchangés mais les télétravailleurs ont également tendance à davantage travailler dans 71,9% des cas. La fréquence des réunions a augmenté dans 37,3% des cas et la charge de travail dans 40,5% des cas. 52,3% des télétravailleurs se sentent plus autonomes et 41,8% plus stressés. Le débordement sur la vie privée est évoqué dans 52,9% des cas
  • les outils ont été fournis par les trois quarts des entreprises. Le télétravail en confinement a été l’occasion d’utiliser des outils dans 61,4% des cas. Le reporting est réalisé via un outil spécifiquement mis en place dans uniquement 15,7% des cas. Dans la majorité des cas (58,2%), les télétravailleurs ne se sentent pas davantage contrôlés.

 

(Photo par Eric Ward sur Unsplash)

Caroline Diard

Enseignant-chercheur en management des RH et droit - ESC Amiens

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