Télétravail

Le télétravail informel pose des problèmes, ah oui ?

Le récent débat sur les chiffres du télétravail en France aura eu le mérite de mettre en lumière la part persistante du télétravail informel (encore appelé télétravail gris) en France. Selon notre enquête de 2012, et la plus récente étude BVA, l’informel pèserait toujours pour 65% du télétravail en France. Alors que la loi Warsmann légalisant le télétravail en France fête aujourd’hui son quatrième anniversaire, que faut-il en conclure ?

Télétravail informel et en mobilité

Pourquoi tant de télétravail informel ?

Tout d’abord, parce que la loi ne cible jamais qu’une forme particulière de télétravail, celui qui est pratiqué de façon régulière. Le terme peut en effet prêter à confusion : est-ce que télétravailler une ou deux fois par mois rentre dans le registre du « régulier » et de la loi ? C’est le rythme le plus répandu parmi les cadres, mais les accords d’entreprises ne prévoient généralement que le télétravail hebdomadaire. Le télétravail plus occasionnel n’a donc d’autre possibilité que d’être informel !

Il existe par ailleurs un manque d’application de la loi par les employeurs, en particulier chez les TPE et PME, qui préfèrent vivre avec le risque peu probable d’une requalification par le juge de la situation de télétravail, plutôt que de s’enquiquiner avec les formalités qu’implique la formalisation du télétravail : consultation des IRP, processus de candidature, signature d’un avenant, comptes d’apothicaire pour indemniser internet, entretien annuel… Et on peut les comprendre.

Faut-il incriminer la loi Warsmann pour avoir imposer la formalisation du télétravail dans le contrat de travail ? A bien y réfléchir, c’était pourtant nécessaire pour s’émanciper du Code du Travail et de ses 3 689 pages entièrement fondées sur un principe d’unité de temps et de lieu du travail. Cela ne fait plus sens à l’heure du digital, et il serait bon un jour de libéraliser le rapport au lieu de travail, de donner droits et devoirs à l’ensemble des salariés, où qu’ils travaillent, sans qu’il soit besoin de formaliser la situation !

Mais en attendant, si tant d’entreprises se permettent de vivre avec du télétravail informel, c’est peut-être parce que les risques sont moins élevés qu’on ne le dit ?

Le télétravail informel est-il un problème ?

Le risque le plus souvent mentionné est celui concernant les accidents du travail existe. Si ce risque existe, il est statistiquement insignifiant : sur les quelques 650 000 accidents du travail dénombrés chaque année en France, rares sont ceux survenant en télétravail (une quarantaine selon la CNAM en 2010, soit 0,006%). À l’inverse, considérant que les accidents de trajets sont l’une des premières causes d’accident au travail (15%), on peut considérer que le télétravail, même informel, permet une baisse globale du risque d’accident de travail.

Méthode

Si toutefois un accident devait survenir en télétravail informel, que dit l’article L.411-l du code de la sécurité sociale ? : « Est considéré comme accident du travail l‘accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail, à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou sur quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprises ».

C’est donc le lien de subordination à un employeur, et l’exercice d’un fait professionnel, qui qualifie l’accident professionnel. Et non la présence dans les locaux de l’employeur. En télétravail informel, on peut donc aussi bénéficier de la législation sur les accidents du travail.

Autre risque souvent invoqué : celui, pour le salarié, de se voir incriminer d’absentéisme. Mais quel salarié prendrait le risque de subitement imposer le télétravail à son employeur, sans l’avertir ? Si cela devait arriver, ce salarié risquerait au pire un blâme ou un avertissement, pour absence injustifiée.

Avertissement qui resterait au demeurant délicat à justifier si le salarié a eu un échange préalable avec son manager, et qu’il est resté connecté et productif pendant la journée incriminée ; a fortiori s’il s’agit d’un cadre dont le statut confère une autonomie dans l’organisation de son travail. Si le télétravail sauvage (et l’absence injustifiée) dure plusieurs journées, alors l’employeur pourrait engager une procédure pour abandon de poste. Mais est-on toujours dans une situation de télétravail, ou dans un problème de fond avec l’employeur ?

Mieux vaut le télétravail informel que zéro télétravail

Le véritable risque du télétravail informel tient au fait qu’il s’agit d’un télétravail accordé au détour d’un couloir, sans pratiques managériales transparentes dans l’équipe. Dans la pratique, cela peut signifier un accès peu équitable au télétravail, qui se fait selon l’humeur du chef et la tête du client. Et engendrer un sentiment d’iniquité chez ceux ne pouvant pas en bénéficier, et des frustrations chez les télétravailleurs lorsque cette tolérance se termine.

Ce risque est exacerbé pour les salariés exerçant 100% de leur activité en télétravail informel. Le jour où l’employeur choisit de ne plus accepter cette situation, le salarié doit regagner les locaux de l’entreprise. La situation est particulièrement délicate lorsque le salarié habite loin de son employeur.

C’est le genre de cas qui a pu atterrir devant les tribunaux français, les juges ayant systématiquement décidé en faveur du salarié dans ces conditions. Mais là encore, on peut se demander s’il derrière les bisbilles concernant le télétravail, il n’y a pas un problème de fond plus important entre le salarié et l’employeur.

Mais au fond ne reste-t-il pas préférable de permettre du télétravail informel, que de ne pas le permettre du tout ? Car ne l’oublions pas : les actifs sont demandeurs de télétravail, et lorsqu’ils y ont accès, c’est pour eux un véritable bonheur !

Frantz Gault

Associé fondateur de la socité LBMG-Worlabs, en charge des missions de conseil : mise en place du télétravail dans les entreprises, conception et modélisation de télécentres, coworking et autres tiers-lieux.

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2 commentaires

  1. Mieux vaudrait simplifier le code du travail et l’adapter aux évolutions des technologies…
    Il est intéressant de comparer les risques d’accidents de trajets aux risques d’accidents en Teletravail.
    En termes de fréquence et gravité, les accidents de trajets coûtent beaucoup plus…

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