Débat : Les robots détruisent l’emploi dans les services ? Bonne nouvelle !
Un article de The Conversation
Ils s’appellent Pepper, Milo, Aimo, Budd ou Paro. Ils ont pénétré les espaces marchands et non marchands. Voici nos nouveaux serviteurs : les robots. Destinés à faciliter notre vie, nous distraire, tenir compagnie aux personnes âgées, aider les enfants autistes, accueillir et servir les clients. Après l’automatisation, les services opteraient-ils pour la « robolution » ? C’est enfin ce que nous espérons ! En effet, si certains y voient l’apogée de la déshumanisation de la relation marchande nous, nous y voyons la fin d’échanges forcés, douloureux et parfois à la limite du supportable.
Oui, trop souvent l’interaction humaine est associée à des représentations positives comme la compassion, l’empathie, l’écoute, la générosité voire la dévotion. Mais être humain ce n’est pas uniquement cela. Blaise Pascal l’a écrit : « être humain c’est aussi être sujet à l’ennui, l’angoisse ou l’inquiétude, tant cette nature est incapable de reposer dans une nature qu’il qualifie d’assurée ».
L’humain peut nuire dans les services
Venons-en aux faits : oui, il y a des nuisances à être servi par les humains. Oui des clients font de l’intolérance au service « humain ». Vous en doutez ? N’avons-nous jamais été affectés d’être le spectateur passif d’un personnel sous pression que nous percevons insuffisamment payé pour la dureté de sa tâche ? Peinés et compatissants vis-à-vis de personnel que nous percevons (satanée perception) sans grand avenir professionnel en nous demandant avec tristesse « ce qu’il fera de sa vie », « s’il a un avenir » ? Ressenti cet inconfort au moment de l’addition d’être le maître de l’obole suprême, le pourboire ? « Vais-je le donner ? Il ou elle m’a l’air dans le besoin, fatigué, etc. ». Bref, ce sentiment d’être pris en otage par excès d’empathie, d’hypersensibilité et de compassion.
Oui, assurément, l’humain peut nuire dans les services plus qu’il ne gâte et en cela la promesse des robots nous ravit. Enfin l’absence de réciprocité humaine à l’origine de bien des conflits. Enfin de la constance, qualité hautement improbable dans les situations de services. Enfin délivrés de la charge wagnérienne du personnel pour garder le leadership de la relation. Enfin délivrés de devoir engloutir et digérer les émotions les plus dérangeantes que nous renvoie un humain, puisque les clients verront dans le robot ce qu’ils souhaitent y voir, ce dernier n’exprimant pas de sentiments.
Questions d’apparence
Car si certains employés ne sont pas spontanément animés (ne démontrent pas une volonté de servir) ou insuffisamment contenus (ne montrent pas ce qu’ils ressentent), le robot lui est programmé pour l’être quelles que soient les circonstances. Si, comme le dit Blaise Pascal, la fragilité de l’homme est physique et morale, le robot lui est endurant (ne renvoie pas ce sentiment d’être maltraité) et dépourvu de conscience (il ne pense pas). C’est ce qui le rend inhumain et qui nous réjouit.
Des questions comme l’apparence ne sont encore pas résolues. De petite taille, il amusera, renvoyant à un imaginaire enfantin (le personnel atteint de nanisme ne nous renvoie pas cette émotion). Ressemblant à l’Homme, il renvoie, comme l’écrit le roboticien japonais Masahiro Mori, à « la vallée de l’angoisse d’étrangeté ». Grands, ils s’apparentent aux robots malfaisants des films de science-fiction. Doit-il être féminin ? Masculin ? « Asexué » ? Les premiers modèles et les concepteurs s’orientent vers une apparence humaine. Mais est-ce vraiment la bonne voie ?
À défaut d’apporter des réponses qui ne seront pas transposables à tous les services, l’arrivée des robots doit permettre l’émergence de nouveaux paradigmes du service. Et sans doute en premier lieu, celui de considérer l’humain et tout ce qu’il représente comme néfastes (et pas seulement inutiles) à la qualité de certains services. Quoi qu’il en soit, laissons enfin le client au contact des robots être en prise avec son imaginaire : lui laisser le choix des émotions ressenties face à un interlocuteur… enfin inhumain.
(Auteur : Annie Lupert-Munos)