Transformation du travail : le numérique détruit-il massivement des emplois ?
Pour être objectif par rapport à une chronique que j’ai écrite sur les nouveaux métiers du web et du numérique, je me devais aussi de parler de tous les métiers qui disparaissent actuellement ou qui vont disparaître dans les années qui viennent sous l’effet de l’innovation technologique et numérique.
Cette semaine à Lyon, c’était la grand messe annuelle de la robotique avec le salon Innorobo qui connaît un succès grandissant mais qui coïncide aussi avec de nombreuses études et ouvrages annonçant une destruction massive d’emplois liée justement à l’essor de la robotique et de l’intelligence artificielle. Alors entre création et destruction d’emplois, une chose est certaine, cette révolution numérique transforme profondément les modalités d’activité et du travail et nous faisons face à une situation assez inédite dans l’histoire de l’humanité par son ampleur et sa vitesse.
Pourquoi cette révolution numérique détruirait-elle des emplois ?
Comme l’affirmait l’économiste Joseph Schumpeter il y a déjà longtemps, avec sa théorie de la destruction créatrice, toute création est synonyme aussi de destruction et vice-versa. Ce double dynamique concerne encore plus de nombreux progrès technologiques dont l’effet est de substituer une machine à un être humain. On connaît bien ce phénomène depuis le début de la révolution industrielle et j’avais déjà parlé ici de la révolte des luddistes en Grand Bretagne qui détruisaient les métiers à tisser, machines diaboliques, accusées de leur prendre leur travail.
Alors ce qu’il faut bien comprendre dans cette dynamique technologique, c’est que l’idée centrale du changement est le progrès dont un des ressorts est de remplacer l’homme par la machine pour son propre confort.
Derrière cette motivation plutôt honorable et compréhensible, il faut bien voir aussi que c’est aussi la logique du profit maximum qui sous-tend ce mouvement de robotisation. Car une machine est souvent plus rentable qu’un être humain, elle va plus vite, peut être remplacée sans drame, ne se fatigue pas, ne commet pas d’erreur et a l’énorme avantage de n’appartenir à aucun syndicat !
Quels sont les moteurs des évolutions actuelles ?
Si la mécanisation a longtemps été le principal moteur des évolutions technologiques c’est le mariage de la robotique, de l’intelligence artificielle et des réseaux qui donne un formidable coup d’accélérateur aux évolutions actuelles. On peut aussi citer la miniaturisation des composants et différentes innovations comme la géolocalisation par exemple, qui permettent à l’ensemble de l’écosystème technologique de faire des bonds en avant mais aussi de détruire des millions d’emplois.
Et puis, comme le prophétise actuellement des chercheurs comme Andrew Mac Affee du MIT dans son récent ouvrage « Le deuxième âge de la machine » c’est tout simplement le niveau de maturité des technologies qui serait la cause principale de cette destruction massive d’emplois.
Quels sont les emplois les plus menacés ?
Le danger s’oriente plutôt vers les métiers comportant des tâches répétitives : agents de banques, traducteurs, comptables, laborantins, assistants juridiques et mêmes chauffeurs de taxi, livreurs et vendeurs ! En effet, qui n’a pas entendu parlé des immenses progrès réalisés par les Google car, ces voitures pilotées automatiquement, qui ne font jamais d’erreurs de conduite et ne grillent pas les feux rouge ?
De même, ces acteurs géants du numérique comme Amazon testent avec de plus en plus de succès des robots pour automatiser leur chaîne logistique et prévoient même de livrer les colis avec des drones.
Enfin, nul besoin de remplacer les destructions d’emploi de la dernière crise dans le secteur de la vente puisque les achats se font tout seul, en ligne directement par le consommateur.
On a longtemps pensé que la robotique ne remplacerait que les outils de production comme sur les chaînes de montage automobile. Ce n’est manifestement plus le cas et le champs des possible s’est considérablement élargi. D’ailleurs deux chercheurs de l’université d’Oxford viennent de modéliser l’impact de la technologie sur plus de 700 professions. Résultat : 47% des emplois aux Etats-Unis courent un risque d’automatisation dans les vingt ans à venir.
Inversement quels métiers traditionnels vont subsister ?
Tous les métiers dont l’importance de la relation humaine et la créativité sont centrales. Par exemple les métiers du secteur médical et paramédical comme bien sûr les médecins, les psychothérapeutes, les conseillers conjugaux, les orthophonistes, mais aussi les artistes, les acteurs, les chorégraphes, les stylistes ou les architectes et différents artisans comme par exemple les maquilleurs ou les coiffeurs. D’autres secteurs comme la recherche, le conseil, le journalisme ou le management vont perdurer mais se transformeront profondément, faisant de plus en plus appel au numérique pour les assister.
Quelles seront les conséquences de ce mouvement sur le plus long terme ?
Nous le voyons dès à présent : la grande crise que nous vivons en ce début de second millénaire n’est pas conjoncturelle, elle est structurelle et de nombreux emplois perdus ne se retrouvent pas. Aux Etats Unis, la croissance est revenue après les crises des subprimes mais pas le taux d’emploi. Nous sommes donc face à une nouvelle révolution qui exige de repenser totalement l’ensemble du système que nous avons bâti sur les impératifs et les modalités propre à la révolution industrielle.
Alors, si les emplois disparaissent massivement et que les revenus et les richesses produites par les machines se concentrent entre les mains de ce que l’on pourrait nommer les « techno-féodaux » pour faire référence aux grands groupes qui maîtrisent la technologie, la question qui se pose désormais est de savoir comment l’économie globale va pouvoir fonctionner ?
Il conviendra en effet, et sans doute dans un avenir proche de revoir totalement les modalités de rémunération, de contractualisation du travail, d’assurance, de mutualisation des risques, il faudra instaurer enfin, un système de formation tout au long de la vie (Long Life Learning) qui garantisse à chacun de s’adapter à tout âge et bien sûr un système de redistribution des richesses qui permettent aux sociétés de vivre décemment et de rester en paix.
C’est assurément un défi que les machines ne pourront relever à la place des humains et il est urgent de s’y atteler dès maintenant, avant que notre système à bout de souffle craque violemment.