Télétravail

Quel avenir pour le télétravail ? (4/4)

Cinq ans après la loi Warsmann, la France compte la même proportion de télétravailleurs que la moyenne européenne. Mais le télétravail reste informel dans au moins six cas sur dix, ce que l’on appelle le télétravail gris. Les confédérations syndicales s’inquiètent : comment expliquer ce décalage entre le cadre normatif et la réalité sur le terrain, et quelles solutions apporter ?  À l’occasion de l’ouverture de la concertation des partenaires sociaux sur le télétravail, nous publions, en 4 parties une étude de LBMG Worklabs. Quatrième et dernière partie sur l’avenir du télétravail.

Quel avenir pour le télétravail ?

L’intuition formulée dans l’ANI de 2005, qui augurait que la notion de télétravail au sens large devait englober “un large éventail de situations et de pratiques sujettes à des évolutions rapides”, se confirme encore aujourd’hui sur le terrain où des formes originales de collaboration à distance continuent d’émerger ou de se développer : télétravail en espaces de coworking, en cohoming, entreprises créant un droit au télétravail pour les salariés, apparition de rythmes de télétravail plus flexibles…

Toute évolution du cadre juridique devra tenir compte de cette réalité afin d’éviter que les salariés et les employeurs contournent les normes lorsqu’elles deviennent trop déconnectées de la réalité du terrain, comme c’est parfois le cas aujourd’hui.

Il nous parait notamment indispensable que les organisations syndicales s’intéressent de beaucoup plus près à ces nouvelles pratiques en collaborant avec les nombreux acteurs qui militent depuis plus de trente ans pour la démystification du télétravail et la transformation des modes de travail dans l’entreprise.

Les ressources produites et mises à disposition du public par ces acteurs – associations (notamment l’ANACT), administrations, entrepreneurs, consultants, experts et autres pionniers – sont considérables : guides du télétravail, modèles d’avenants, modèles d’accords télétravail, conférences TED, vidéos de sensibilisation, Tour de France du télétravail, journée du télétravail, site internet dédié au télétravail, MOOC sur le télétravail…

Rassurer les employeurs à propos du télétravail

Du côté des dirigeants, le télétravail gris peut avoir un coût perçu relativement faible au regard de l’investissement et des risques associés à sa formalisation. Cette dernière nécessite un changement organisationnel parfois difficile et elle induit un risque juridique plus élevé.

Pour faire baisser le coût perçu de la formalisation du télétravail, il faut :

  • rassurer les dirigeants sur les externalités organisationnelles positives du télétravail lorsque sa mise en œuvre s’inscrit dans une démarche formalisée (autonomie accrue des salariés, création d’un dialogue constructif au sein des équipes et avec le management, amélioration de la qualité de vie au travail…) ;
  • partager largement les bonnes pratiques qui permettent aux organisations de bénéficier de ces externalités sans encourir le risque de finir devant un tribunal. À ce titre, la plupart des recommandations formulées en 2013 par feu Nicole Turbé-Suétens sont toujours d’actualité.

Au niveau législatif, une mesure clé sera de requalifier la notion de régularité dans le texte de 2012 pour englober toutes les formes de télétravail non exceptionnel et éviter une trop grande liberté dans l’interprétation de la loi.

Encourager les télétravailleurs à signer un avenant

Il est indispensable de proposer aux travailleurs des dispositifs d’encadrement qui, conformément à l’esprit de l’ANI de 2005, permettent d’accommoder divers rythmes de télétravail au sein d’une même organisation (l’expérience confirme que le taux d’adoption du dispositif d’encadrement est alors plus élevé que dans le cas d’un dispositif rigide).

Il revient donc aux partenaires sociaux de faire preuve de fermeté lors de la négociation d’accords sur le télétravail afin de garantir une certaine flexibilité des rythmes en vue de maximiser le taux d’adoption par les salariés. Et sécuriser l’avenir du télétravail.

Protéger les télétravailleurs

La prévention du risque d’isolement vis-à-vis du collectif de travail, pour les salariés qui télétravaillent 3 jours par semaine ou plus, est un autre sujet majeur auquel le télétravail en tiers-lieu, ou des pratiques comme le cohoming peuvent apporter une réponse (au-delà de la signature d’un avenant).

Ces pistes doivent être portées par les syndicats car elles constituent probablement l’avenir de ce que pourrait être le collectif de travail, dans une économie en réseau qui floute les frontières de l’entreprise. En ce qui concerne la prévention des impacts potentiellement négatifs du télétravail, le droit à la déconnexion constitue un levier intéressant de protection des télétravailleurs, qu’ils soient “gris” ou “blancs”.

Enfin, il s’agit d’exiger un suivi rigoureux des impacts à long terme du télétravail au niveau psychosocial, sans nuire à la flexibilité des dispositifs d’encadrement. Au-delà du suivi à l’échelle de l’entreprise, ce sujet devra faire l’objet d’études indépendantes encadrées par des experts en risques psychosociaux, à l’échelle nationale ou européenne.

Le travail à distance, qui n’est qu’une des nombreuses innovations permises par la transition numérique, illustre magnifiquement comment cette dernière, en réinterrogeant les fondations sur lesquelles s’est bâtie l’entreprise du 20e siècle (unicité du lieu de travail, homogénéité du temps de travail, organigramme hiérarchisé par la fonction de contrôle managérial…), ébranle les grandes organisations syndicales qui ont été bâties sur ces mêmes fondations.

Partant de ce nouveau constat, on ne peut désormais que souhaiter que les responsables syndicaux se résolvent non seulement à suivre, mais aussi à expérimenter ces nouvelles formes d’organisation du travail qui émergent et essaiment dans les tiers-lieux, entreprises libérées et autres objets organisationnels non identifiés.

Grégoire Epitalon

Je suis confondateur de Libertalia.work, une entreprise qui s'est donné pour ambition de contribuer à faire émerger des modèles de travail alternatifs, adaptés aux enjeux de demain : communs, coopératives, tiers-lieux, convivialité, low-tech, logiciel libre...

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