Bonnes pratiques pour réussir un tiers-lieu rural
Un tiers-lieu rural (télécentre ou coworking) peut être un bon outil de développement à la condition de répondre à certains critères. Petit essai de « bonnes pratiques » fondé sur l’observation et sur la création du réseau des télécentres de l’Orne en 2010. Toutes les recettes pour monter vous-même votre projet de télécentre-espace de coworking.
Depuis la création du télécentre de Boitron et le lancement du réseau ornais de télécentres, je reçois beaucoup d’appels et de visites d’élus locaux qui envisagent eux aussi la création de l’un de ces espaces de travail.
Si en ville un opérateur privé peut dégager un modèle économique pour un « tiers-lieu », à la campagne la faible densité de population implique plutôt que l’opérateur soit une collectivité locale.
Les élus sont les mieux placés pour monter ces projets car ils sont les meilleurs connaisseurs (en général) de leur territoire. Chaque cas est différent, bien-sûr, en particulier pour les aspects juridiques et financiers. Mais les élus sont habitués à ces montages et ils ne devraient avoir aucun problème pour régler ces aspects de leur projet.
En revanche, ils devront veiller à respecter quelques principes pour atteindre le succès.
Small is beautiful, pas de gigantisme
Le 1er souci exprimé à propos de la création d’un tiers-lieu rural est le retour sur investissement : Comment être certain de remplir mon espace de travail ? demandent-ils.
Il n’y a aucune certitude de réussite mais on peut en revanche diminuer les risques financiers en évitant les projets surdimensionnés et en mutualisant les usages du lieu.
Dans notre projet de Boitron (340 habitants), nous avons réhabilité une ancienne école pour construire 2 bureaux privatifs (supprimés ensuite pour agrandir l’open space), une salle de réunion-formation et un espace de convivialité (plus un fablab dans un bâtiment annexe). L’équipement est réduit : un visio-projecteur de qualité et une solution de visio-conférence qui permette aussi bien des web-conférence que de la téléprésence. Et puis c’est tout : les télétravailleurs apportent leur ordinateur avec eux.
Chaque télétravailleur dispose d’une clé pour accéder au télécentre 24h/24 (décalages horaires ou travaux en charrette obligent…). Si l’on est riche on pourra opter pour un accès par carte avec une télésurveillance.
Ce local est accessible en priorité à des professionnels (télétravailleurs, entreprises pour des visio-conférences, des formations, des réunions…) mais il est aussi disponible pour d’autres usages : webschool, une fonction d’EPN (espace public numérique) pour les habitants formés par des bénévoles, week-end de gamers, expositions de photos ou de peintures, etc.
Le budget de cette opération est modeste, même pour une petite commune, en comparaison d’autres investissements publics :
- 15 000 € financés par la commune de Boitron (réfection du bâtiment, câblage, achat de mobilier, 5 ordinateurs pour la formation, vidéo-projecteur…)
- 5 500 € financés par le conseil général de l’Orne (réfection du bâtiment)
- 57 000 € financés par le conseil régional de Basse-Normandie (raccordement Internet en très haut débit).
Du très haut débit sinon rien
Autre facteur de réussite, le raccordement du télécentre en Très haut débit « symétrique » (au moins 20 Mo) qui permet des utilisations professionnelles du Web.
Le travail collaboratif à distance implique l’usage d’outils et de solutions en ligne (cloud computing) ainsi que la publication ou l’échange en ligne de contenus lourds (vidéos, présentations PowerPoint…) : le Très haut débit est une nécessité, pas un luxe.
En attendant la fibre optique, nous avons choisi à Boitron la solution proposée par Wibox, la filiale d’Altitude Telecom : un pont hertzien depuis le château d’eau du village où sont déjà installés des relais hertzien alimentant une partie du réseau Wimax du département.
Une solution qui permettra d’alimenter prochainement le réseau local en fibre optique pour les habitants de la commune.
Le tiers-lieu rural pour fédérer les énergies
« On n’a pas besoin de télécentre, travailler depuis chez soi est bien suffisant » m’a-t-on plusieurs fois objecté.
Or, un télécentre ne résoud pas seulement les problèmes de connexion à l’Internet, fréquents à la campagne. Il permet surtout aux télétravailleurs, salariés ou indépendants, de se retrouver ensemble, d’échanger, de rompre l’isolement. De ce rapprochement naît une énergie collective, de l’innovation, des collaborations.
Cette manière de travailler ensemble au même endroit, le coworking, est surtout pratiquée par des travailleurs non-salariés. Elle permet une entraide et un échange très rapide d’informations et elle peut être réalisé tous les jours ou ponctuellement.
Identifier, fédérer et développer un réseau de télétravailleurs avant la création du télécentre est une assurance supplémentaire de réussite du projet. Mais il faut aller plus loin pour ne pas se contenter d’être fournisseur de locaux.
Idéalement, il faut cultiver ce réseau humain sur son territoire et encourager cette pratique du coworking dans les télécentres, surtout en milieu rural où les énergies sont dispersées.
Trois recommandations qui contribueront à faire du projet de télécentre un succès pour l’aménagement des territoires ruraux mais aussi pour développer le télétravail.
(1) Lors d’un colloque sur « Télétravail et développement rural » que j’avais monté en novembre 2004 au conseil général de l’Orne, nous avons lancé le Réseau national des télécentres (dont je suis vice-président) pour soutenir l’action de l’appel à projets de la Datar qui visait la création de 1000 postes de travail en milieu rural. Le bilan du projet a été plus modeste mais on notera, entre autre, mise en place du réseau de télécentres du Cantal et du projet Beaujolais vert. En 2008, j’ai proposé au conseil général de l’Orne un plan de pour développer une politique d’accueil de télétravailleurs. Qui reposait notamment sur la création d’un réseau de télécentres.
Merci pour cette synthèse Xavier, c’est très instructif et confirme ce que je pensais à propos de ce que nous appellons des « bureaux satellites ». Dans notre approche nous avons imaginé en plus que ces bureaux répartis sur tout le territoire seraient reliés aux télécentres urbains plus importants et plus animés ce qui leur permettrait en plus de bénéficier d’une partie de ces services par ricochet (à travers les réseau).
C’est une bonne idée Jean-Christophe. Dans l’Orne nous allons essayer de mutualiser la prospection et de partager une webschool.
Et même de créer des liens avec d’autres espaces de coworking pour permettre des échanges quand nos télétravailleurs « montent à la capitale » 😉