Les fablabs sont des tiers-lieux comme les autres (entretien)
OctoberMake, le séminaire stratégique annuel du Réseau français des fablabs (RFFLabs) s’est tenu à Nancy du 26 au 28 octobre. A cette occasion, Zevillage a interviewé Simon Laurent, nouveau président du réseau au sujet de leur réactions au récent rapport de Patrick Lévy Waitz sur le coworking et les tiers-lieux. Non, le RFFlabs n’est pas un rassemblement de ronchons, ils est simplement très attaché aux valeurs des tiers-lieux et doté d’un bon esprit critique.
Zevillage : Le conseil scientifique du RFF a fait une lecture à chaud du rapport de Patrick Lévy-Waitz et il émet plusieurs réserves. De quelle nature ?
Simon Laurent : Sans vouloir dire que le rapport a été mal fait, il nous semble improbable qu’il puisse être complet en six mois d’étude. Cela fait dix ans qu’on étudie nous-mêmes nos propres phénomènes et on n’est pas au bout de l’histoire.
Il ne faut pas considérer ce rapport comme la Bible des tiers-lieux en France. C’est une première étape qui était nécessaire et le résultat est fort louable. Mais il reste un véritable travail de fond à faire.
Ce qui nous frappe nous c’est le côté binaire dans la description des tiers-lieux qui sont soit orientés fablabs, soit orientés coworking. Or, en faisant quelques sondages sur les cartes ont s’aperçoit que les notifications sont un peu hasardeuses.
Si je prends l’exemple de mon lieu, il est décrit à dominante coworking alors que ce n’est pas le cas. Et le fablab du lieu est décrit comme un coworking. Attention aux données, il va falloir les ajuster, continuer les études car l’image donnée est trop réductrice : c’est un peu trop binaire d’affirmer que dans un tiers-Lieu on est seulement fablab ou coworking.
Les tiers-lieux sont plus complexes que cela. Les plus anciens des tiers-lieux sont par exemple à dominante culturelle. C’est le danger de vouloir faire entrer ces espaces dans des cases. C’était nécessaire de se pencher sur le phénomène mais il faut affiner l’analyse.
Zevillage : La richesse sociale des tiers-lieux vous paraît-elle bien mise en valeur dans le rapport ?
Simon Laurent : Cet aspect social est valorisé mais, effectivement, dans un rapport de 250 pages les lecteurs vont plutôt regarder les images et moins regarder les détails. Ce rôle social est en filigrane, en particulier dans les activités des espaces mais pas suffisamment mis en avant.
Il serait intéressant de pouvoir quantifier les bénéfices sociaux des tiers-lieux, sur les petits territoires ruraux en particulier. Pour nous, ce rôle social est leur principale valeur ajoutée. La valeur ajoutée économique n’est pas annexe mais pour nous elle vient en second après la valeur sociale.
La valeur économique se crée parce qu’il existe d’abord une valeur sociale. Parce que ces lieux apportent une manière différente de travailler, une manière différente d’aborder les collaborations, d’aborder les compétences. C’est cela qui fait la valeur des ces initiatives de tiers-lieux.
Zevillage : Vous avez l’air inquiets à propos des recommandations concrètes du rapport pour développer les tiers-lieux.
Simon Laurent : On alerte sur le fait qu’avant de parler de réseau national nous devrions repasser par une phase de médiation pour trouver collectivement, avec tous les acteurs des tiers-lieux, les solutions qui permettront de créer un réseau national.
On a du mal à se dire qu’on va avoir le temps de se réunir pour trouver des solutions qui n’ont pas été évoquées dans le rapport. C’est pour cela qu’on défend l’idée d’Etats généraux des tiers-lieux avant d’entrer tout de suite dans le dur du travail. Il existe dans ces lieux des gens qui ont beaucoup de compétences et d’expérience sur les montages démocratiques et une horizontalité dans la prises de décision et dans la gouvernance.
De plus, l’axe économique dans le montage d’un réseau national ne nous semble pas le plus pertinent.
Nous sommes ouverts à tout, il faut juste que l’on puisse en discuter tous ensemble.
La valeur économique des tiers-lieux se crée parce qu’il existe d’abord une valeur sociale.
Zevillage : Vous aviez aussi des remarques à propos de la recommandation de créer 300 « super tiers-lieux » en France, des « fabriques de territoire » et de la méthode de sélection de ces espaces.
Simon Laurent : On a un avantage au RFFlabs c’est d’être proche du mouvement des tiers-lieux open source francophones. Nous profitons donc d’une certaine mémoire organisationnelle collective. Les tiers-lieux sont documentés sur Movilab depuis près de dix ans. Movilab est d’ailleurs valorisé dans le rapport et c’est une bonne chose.
Nous alertons sur plusieurs points car nous sommes des acteurs de terrain qui avons une certaine expérience sur la manière dont les appels à projets fonctionnent et de la manière par laquelle l’argent public est distribué dans ce contexte.
Nous souhaitons donc attirer l’attention des auteurs du rapport et, par leur intermédiaire, du ministre, sur le choix de lancer des appel à manifestation d’intérêt.
Premièrement parce que ces dossiers sont complexes à remplir et que les petits porteurs de projets n’auront pas forcément la capacité et le temps d’y répondre. Et, d’autre part, parce que ce type d’appel à projets permet aux « passagers clandestins » de monter à bord de la barque. C’est-à-dire des gens qui ont l’expérience du montage de dossier, qui ont le langage et les codes attendus par les donneurs d’ordre mais n’ont pas forcément de vrais projets ou de vraies communautés. On le voit tous les jours par exemple avec les régions qui commencent à financer les fablabs et les tiers-lieux et créent des effets d’aubaine.
Ensuite, les appels à projets et les concours ne font que mettre en concurrence les structures, là où nous prônons la collaboration et le partage. Ils vont sélectionner les « meilleurs » et se priver du concours des autres.
Nous n’apportons pas de réponse. Les solutions il faut les co-construire, bien comprendre ce qu’est cette idée de « fabriques de territoire », ce qu’on met dedans, à quoi elles servent vraiment.
N’est-ce pas de l’argent dépensé pour rien de recréer des structures alors qu’il existe déjà des gens et des lieux qui produisent des choses extraordinaires qui ne demandent peut-être qu’à être transformées pour entrer dans les codes des tiers-lieux ? Les tiers-lieux s’appuient souvent en milieu rural sur des associations qui existaient déjà et qui correspondent à ces codes sans avoir le nom de tiers-lieux.
(Photo de l’article : rassemblement OctoberMake du Réseau français des fablabs à Moulins en 2017)
Économique ou social, qui fait la poule, qui fait l’oeuf ?
C’était à mon sens la mission confiée par le ministre, en lien avec le développement territorial, le haut débit pour tous, et donc forcément des espaces tres variés et variables de coworking plus ou moins animés, plus ou moins rentables, plus ou moins durables, des tiers lieux parfois plutôt primo lieux, avec des vocations très diverses, incluant les fablabs…
En effet, qui fait la poule et qui fait l’oeuf 😉
Mais si nous parlons de tiers-lieu et pas d’espace de coworking ou d’hôtel d’entreprises il faut bien reconnaître que l’interaction sociale prime sur la rentabilité. Ce n’est ni bien ni mal, c’est un constat.
En particulier dans les territoires ruraux où la rentabilité de ce type d’espace est faible, voire inexistante. La dynamique créée dans ces espaces peut alors engendrer des retombées économiques et/ou de l’attractivité.
Mais prenons garde de ne pas trop organiser, trop étatiser, trop rigidifier ces dynamiques au risque de les tuer en voulant les aider.
Parfaitement d’accord avec toi, Xavier. L’attractivité notamment est fondamentale, c’est du qualitatif … qui peut ensuite produire du quantitatif qui fait revivre une économie locale.