Quand l’utopie coopérative devient réalité sous la forme de SAPO
Comment une entreprise peut-elle réunir les meilleures conditions pour que ses collaborateurs privilégient la coopération plutôt que la compétition et partagent pouvoir et dividendes équitablement ? Face à cette question de société, Ambiance Bois incarne une réponse concrète et inspirante depuis 25 ans grâce au statut de Société Anonyme à Participation Ouvrière (SAPO).
Egalité des salaires, temps partiels et polyvalence Dans de nombreuses entreprises, le cloisonnement des tâches, la concurrence entre employés et les écarts de salaires excessifs contribuent à isoler les individus sans que rien ne leur permette d’intervenir sur cette stratégie élaborée par les actionnaires et les gérants.
La crise sociale que nous traversons doit beaucoup à ce fonctionnement suscitant des comportements défensifs de repli sur soi, d’individualisme et d’agressivité. Une situation qui se traduit par un niveau de pression devenu insupportable pour beaucoup, y compris pour les cadres dont un tiers se dit prêt à craquer selon le 16e baromètre du stress de la CFE-CGC avec OpinionWay.
Les créateurs d’Ambiance Bois, entreprise de vente directe de matériaux en mélèze et d’éco-construction, n’ont pas attendu que la crise atteigne son paroxysme actuel pour imaginer un modèle alternatif et entreprendre autrement.
L’idée de cette aventure germe dans l’esprit de six scouts au cours des années 1980 : ils souhaitent prolonger le plaisir de la collectivité au-delà des camps qui rythment leurs vacances. Après s’être formés au sciage, au séchage et au rabotage, ils concrétisent leur projet en 1988 en créant dans le Limousin une scierie appelée Ambiance Bois.
Plus tard, la mise en œuvre du bois à travers la construction, l’aménagement et la rénovation de maisons viendront s’ajouter aux missions de la société. Mais toute l’originalité de cette organisation réside dans son fonctionnement qui offre une piste concrète pour redonner du sens au travail. « Au sein d’Ambiance Bois les salariés n’ont pas une tâche fixe : ils passent d’un poste à l’autre, en fonction de leurs aspirations et de leurs compétences, afin que chacun participe aux travaux les plus ingrats comme aux plus gratifiants, explique Chantal Galibert qui travaille depuis 2001 dans l’entreprise.
Même la direction est tournante, ajoute-t-elle : « Le président est tiré au sort parmi un panel de volontaires. Nous avons en effet la conviction que chacun est polyvalent et peut à la fois réaliser des tâches manuelles et administratives, voire stratégiques ».
« Ce statut équivalent entre les membres se traduit d’ailleurs par un revenu égal pour tous, supérieur de 5% au Smic » précise-t-elle, tout en admettant que ce niveau de revenu assez bas peut apparaître comme un point faible. Chacun bénéficie en outre d’une mutuelle payée à 100% par l’entreprise et de la possibilité de travailler à temps partiel afin de pouvoir s’impliquer davantage dans sa vie familiale et locale. Ainsi le temps de travail des 23 salariés représente en réalité 17 pleins-temps.
Le partage du pouvoir en pratique
Ce fonctionnement découle d’une gouvernance mise en place dès les premières années pour permettre l’autogestion de la structure par ceux qui y travaillent. Le statut choisi, peu répandu, est proche de la Société Coopérative et Participative (Scop) : il s’agit de la Sapo, Société Anonyme à Participation Ouvrière.
Comme la Scop, la Sapo favorise un fonctionnement coopératif et démocratique. Elle fait de la pérennité des emplois une priorité. Cependant la distinction de ces deux statuts est au cœur même de la philosophie d’Ambiance Bois : « Dans une Scop, pour bénéficier d’une voix à l’Assemblée Générale, il faut avoir souscrit au moins une action de capital, rappelle un membre de l’entreprise, alors que dans le cas d’Ambiance Bois, la Sapo offre la possibilité d’un droit de vote pour tous les salariés à partir d’un an d’ancienneté, qu’ils soient actionnaires ou non ».
Lorsqu’un vote a lieu, les administrateurs en capital ont donc autant de voix que les salariés.« En somme 50% du pouvoir revient au capital et 50% au travail » résume-t-il. La distribution d’éventuels dividendes suit une logique semblable : une somme identique est versée aux actionnaires et aux travailleurs.
Des performances économiques et sociétales
Les performances de cette Sapo sont à la hauteur de celles affichées par les entreprises « conventionnelles » : avec un chiffre d’affaire annuel d’environ 800 000 euros, Ambiance Bois offre toutes les garanties d’une structure solide. Cela dit, la véritable valeur de cette entreprise échappe encore aux indicateurs habituels qui ne prennent pas en compte l’épanouissement individuel et l’intérêt général.
Or de ce point de vue, Ambiance Bois se distingue nettement du monde du travail classique. Créant des emplois « non délocalisables » et suffisamment souples pour que les salariés s’investissent dans la vie sociale, cette entreprise offre une contribution généreuse à la collectivité (même s’il est difficile de la mesurer) et aux salariés qui, de ce fait, sont fidèles : la grande majorité d’entre eux ont au moins dix ans d’ancienneté.
Par ailleurs, pour limiter son impact sur l’environnement, elle valorise une ressource locale et renouvelable : le mélèze qui pousse autour de la scierie. La société va jusqu’à restreindre volontairement son périmètre d’intervention (c’est-à-dire ses chantiers) à un périmètre d’environ 60 kilomètres afin de réduire son empreinte carbone, quitte à perdre certaines commandes et à se limiter à une taille modeste.
Les scieurs de Faux-la-Montagne savent que dans les entreprises coopératives et éthiques, l’échec advient plus souvent par la réussite et la croissance que par des difficultés liées à l’activité. Aussi Ambiance Bois n’a pas l’ambition de trop s’agrandir, préférant ne pas se fourvoyer. Une vraie leçon de résilience à destination des entrepreneurs et des élus.
[button color= »orange » size= »big » link= »http://www.telim.tv/videos/documentaire-ambiance-bois-le-travail-autrement » target= »blank » ]Voir le documentaire « Ambiance bois, le travail autrement »[/button]
(Article paru dans Kaizen Magazine)