Maternité et discrimination : le combat oublié
Maternité et discrimination : dans cette tribune, Pierre Monclos, DRH de Unow, entreprise spécialisée dans le elearning avec laquelle Zevillage a réalisé un MOOC sur le Travail flexible, pointe la discrimination au travail envers les femmes enceintes.
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Malgré l’importance des dispositifs destinés à garantir l’égalité entre les femmes et les hommes, les discriminations à l’égard des femmes dans le monde du travail persistent. Rien de nouveau, malheureusement ! Il suffit pour une femme d’être enceinte, maman depuis peu, ayant pour projet d’avoir des enfants ou juste “en âge” d’avoir des enfants pour que l’on atteigne les cimes de la discrimination à l’occasion notamment d’un recrutement, d’une évolution professionnelle et/ou d’une évolution de rémunération.
Et dans 90% des cas, j’ai la nette impression qu’on ne cherche plus à résoudre le problème de cette discrimination, on cherche juste à composer avec tellement c’est ancré dans les mœurs. Ce qui revient à considérer que c’est acceptable. Alors que ça ne l’est absolument pas. Alors, comment remédier à tout cela ? Comment évoluer et avancer dans la bonne direction ?
Les inégalités de la femme enceinte
Sentiment d’être mise à l’écart, salaire qui stagne et perte de responsabilité après leur retour de congé maternité, les frustrations sont grandes.
Les femmes enceintes se retrouvent davantage touchées par les inégalités au travail selon une enquête des défenseurs des droits : 80% des actifs considèrent qu’elles représentent un “inconvénient” majeur au travail. Les femmes elles-mêmes intériorisent ce risque de discrimination puisque 44% d’entre elles, entre 25 et 49 ans, considèrent qu’être maman est un obstacle à leur carrière, selon une enquête du Journal des Femmes.
Avoir une femme enceinte au travail cristallise la peur qu’elle soit moins performante, au risque de s’absenter après sa grossesse et surtout pendant. Ce qui explique bien souvent que les femmes enceintes en recherche d’emploi se voient écartées des différents process de recrutement et que d’autres en recherche active soient obligées de reporter leur désir de maternité pour privilégier leur carrière professionnelle. Les femmes enceintes en recherche d’emploi se posent aussi souvent la même question : « Faut-il oui ou non annoncer sa grossesse pendant la période de recrutement ? » Faut-il amener soi-même le sujet durant l’entretien ?
Le problème va évidemment plus loin que la seule grossesse. Ce qui dérange l’employeur, c’est aussi le congé parental, le temps partiel, les absences pour cause d’enfant malade, les horaires de fin de journée… Les employeurs considèrent les femmes comme des “agents à risques”, comme si avoir des enfants allait empêcher d’être efficace !
Revenir aux fondamentaux de la normalité
Selon un sondage réalisé par YouGov en partenariat avec l’organisation Young Women’s Trust, les responsables masculins étaient 14% à hésiter à embaucher une femme souhaitant avoir des enfants alors qu’ils étaient 16% en 2018 et 18% en 2017. Mais il ne faut pas oublier qu’il est tout à fait anormal, immoral et illégal de discriminer une femme en raison de sa situation de maternité et la prise de conscience à ce sujet est encore trop faible.
Une entreprise qui recrute des êtres humains a une responsabilité vis-à-vis d’eux. Une responsabilité qui dépasse même le cadre de l’entreprise. Et notamment :
- Il est normal d’intégrer les projets de vie de ses salariés, de surcroît quand les femmes amènent des merveilleuses nouvelles comme une naissance récente ou à venir.
- Il est normal de prévoir un budget pour remplacer provisoirement une femme en congé maternité (un CDD, du consulting, du freelancing, etc) et de bien préparer son retour ensuite.
- Il est normal d’être flexible pour l’événement probablement le plus important de la vie de ses salariées.
- Il est anormal d’aller dans le sens inverse.
Et à chaque fois qu’un(e) RH ou un(e) manager cautionnera ou contribuera à cette discrimination, personne ne devrait détourner les yeux. Sauf à considérer que les hommes et les femmes ne doivent pas être égaux.
Chez Unow, en tant que DRH, je recrute des femmes enceintes. Pourtant certaines candidates ont encore peur de parler de ce sujet en entretien ou même une fois qu’elles ont été recrutées. Même quand on essaye de prendre les devants, tout le monde doute ! C’est révélateur du manque de prise de conscience dans notre société. Et ce doute est un poison. Il faudrait presque rappeler que ces discriminations sont immorales, illégales et à l’origine d’inégalités profondes entre les hommes et les femmes. Et aussi entre les femmes elles-mêmes. Je suis convaincu que c’est l’un des combats que nos générations peuvent vaincre, pour qu’on passe de pratiques anormales mais souvent tolérées à des pratiques qui choqueraient n’importe qui.
Qui est responsable de tout cela ? Beaucoup de monde. A commencer par celles et ceux qui ne s’indignent pas lorsqu’une telle discrimination se présente. Mais surtout celles et ceux qui sont en responsabilité en entreprise, notamment les RH et les managers, qui acceptent qu’on puisse faire ainsi pour que l’intérêt de l’entreprise soit préservé. Et ce au prétexte que des absences et notamment le congé maternité “coûtent” à l’entreprise. Comme si une entreprise devait faire des économies sur le dos de ces femmes.
Faire évoluer les choses c’est s’indigner publiquement à chaque occasion qui se présente et diffuser toutes les solutions qui sont à la portée des femmes concernées et des entreprises qui veulent s’engager pour faire évoluer les choses. Il en va de même pour toute personne ayant des responsabilités en entreprise, notamment les RH et les managers : indignez-vous et partagez les solutions !
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Photo de Suhyeon Choi