L’avenir du coworking est-il frugal et « métamorphe » ?
Comment créer des tiers-lieux à moindre coût et accessibles à tous ? Comment rendre le territoire urbain aussi mouvant que les besoins de ses habitants ? Comment concilier low-tech et smart-cities ? L’expérience du Mab’Lab, le premier lieu métamorphe – qui se transforme selon les besoins – de 2e génération, apporte un début de réponse.
Enjeux et défis de la ville entrepreneuriale
En 2017, les territoires doivent faire preuve d’inventivité pour attirer les talents et les entreprises. Pour un grand nombre de collectivités, l’enjeu consiste à conserver les entreprises innovantes et éviter le départ des habitants les plus qualifiés.
En moins d’une dizaine d’années, disposer de tiers-lieux, et tout particulièrement d’un écosystème dynamique d’incubateurs et de coworking, est devenu décisif pour les villes qui veulent rester à la pointe de l’entrepreneuriat.
C’est dans cette ambition que sont nés, dans les friches urbaines, de nouveaux espaces de rencontres et de partages, tels que Ground Control ou les Grands Voisins. En s’offrant comme lieu de convivialité, de culture et de travail, ces espaces répondent aux attentes des nouvelles professions intellectuelles.
Urbanisme chronotopique : penser la ville à l’heure de ses usagers
Penser la ville d’aujourd’hui implique de s’interroger sur la ville de demain. C’est pourquoi il est indispensable désormais que les responsables de la fabrique urbaine se concentrent sur les tendances émergentes.
A ce titre, l’approche chronotopique de l’urbanisme est précieuse, non seulement pour prendre conscience des mutations en cours mais encore pour les anticiper. Élaborée par le chercheur Luc Gwiazdzinski, cette théorie pratique consiste à penser l’efficacité et l’usage de tous les espaces urbains dans leur dimension temporelle. On s’aperçoit ainsi qu’en fonction des saisons, des jours ou des heures de la journée, un même espace est très inégalement exploité.
C’est conscient de l’intérêt d’une approche chrononotopique, qu’Airbnb a pu constater la désertion régulière d’un grand nombre de logement au cours de l’année, créer en conséquence des offres de location et finalement révolutionner le secteur hôtelier.
Néanmoins, la solution Airbnb, qui fonctionne entre particuliers, n’est pas adaptée aux bâtiments administratifs des villes et entreprises. Il faut prendre en compte que l’essentiel de ces espaces fonciers sont utilisés quotidiennement durant la semaine, qu’ils obéissent à des règles de sécurité propre (ERP, confidentialité des données,..) et que leur usage par des personnes extérieures soulèverait donc de nombreux enjeux logistiques.
Les contraintes propres aux bâtiments administratifs semblent ainsi empêcher une exploitation plus large de leurs locaux. Pourtant il devient indispensable de se confronter à ce problème, aussi insoluble soit-il en apparence.
Pourquoi le territoire urbain aurait des fonctions figées quand ses habitants ont des besoins mouvants ?
Prenons l’exemple de La Défense. Constater qu’un quartier administratif aussi fourmillant d’activité se vide soudainement après 19h, n’est-ce pas faire l’expérience d’un scandaleux gâchis d’espace ? Certes, le soir venu, des événements culturels et commerciaux contribuent à insuffler un peu de vie à l’esplanade, mais l’essentiel de l’infrastructure, ces centaines de milliers de mètres carrés de bureaux, ne sont pas du tout mis à profit à cette occasion.
La Défense est le miroir grossissant d’un problème plus vaste qui concerne tous les espaces administratifs qui ferment leurs portes à des heures ou les habitants continuent pourtant à vivre et pourraient en faire usage.
Lieux métamorphes : extension du champ de l’efficience urbaine
C’est autour de ce constat simple et de mon expérience personnelle que j’ai pensé le concept lieu métamorphe.
Un lieu métamorphe est un espace urbain capable de se métamorphoser à plus ou moins haute fréquence en fonction de la dynamique de la ville. Ce type d’espace urbain ne relève pas de la science-fiction, comme en témoignent les palais de congrès ou les grandes places publiques, qui accueillent régulièrement des événements artistiques et commerciaux divers et variés.
Or, la nature hétéroclite de ces évènements est rendue possible grâce à une recherche constante d’adaptation et de souplesse de la part des espaces qui les accueillent. Exigences modernes de la vie urbaine et dynamisme des infrastructures sont donc intrinsèquement liés.
Des lieux qui bénéficient à tout l’écosystème du territoire
Jusqu’à présent, le caractère métamorphe des places publiques ou des palais de congrès a toujours semblé naturel. Cependant ces lieux ont toujours fait figure d’exception par rapport à un tissu urbain essentiellement rigide.
L’innovation ne tient donc pas dans l’existence de tels lieux mais dans leur systématisation. Il s’agit en effet aujourd’hui de changer de représentation, en acceptant que des lieux, jusqu’ici immuables, puissent se métamorphoser en fonction des besoins et accueillir ainsi des activités très différentes.
Pourquoi ne pas envisager que des espaces administratifs puissent se convertir en espaces de réunions d’associations ? Des salles de théâtres servir le matin comme établissement de formation ? Ou des cantines d’entreprise s’offrir comme locaux dédiés aux startup après le déjeuner ? Ces exemples ne sont pas utopiques : depuis la rentrée 2016, le Mab’Lab offre un exemple probant de l’efficacité des lieux métamorphes.
Le prototype Mab’lab
Inspiré par l’approche low-tech, le Mab’Lab est l’un des premiers cas connu d’application de lieu métamorphe de 2e génération.
Initié par Frateli Lab en 2016, en partenariat avec la Mairie de Paris et le Crous de Paris, le projet Mab’Lab convertit quotidiennement le restaurant universitaire Mabillon (Paris 6e) en espace de coworking et en lieu dédié aux initiatives citoyennes et entrepreneuriales.
Cela a permis de mettre à disposition des locaux qui, jusque là, étaient inusités non seulement le weekend mais également tous les après-midi de la semaine, après le déjeuner. Or, cette faible utilité reste le lot de tous les espaces de restaurations collectives en France.
Les salles des restaurants d’entreprises sont vides 90% du temps.
L’initiative Mab’Lab démontre qu’un lieu devenu métamorphe peut accueillir deux activités de nature très différente. De plus, contrairement aux lieux métamorphes de première génération, qui ne se restructurent pas plus de deux fois par semaine, la conversion d’usage des lieux métamorphes de deuxième génération peut s’effectuer à haute fréquence, c’est-à-dire deux à trois fois par jour.
Or la fréquence de conversion des espaces s’établit en proportion inverse de leur occupation. Moins un espace est occupé, plus il est susceptible d’accueillir une grande diversité d’activités. Autrement dit, moins un espace est usité, plus il est convertible à haute fréquence, plus il est susceptible de répondre aux besoins des habitants et de s’adapter aux exigences d’une ville moderne. Or, nous l’avons dit, nombreux sont les espaces capables de rendre ce type de service.
Low-cost, high impact
Le Mab Lab a montré que multiplier les activités au sein d’une même structure n’altérait pas le bon déroulement de l’activité initiale de restauration. En outre, utiliser un lieu déjà existant a rendu l’espace beaucoup plus économique à aménager qu’un lieu d’innovation conventionnel. Libéré de nombreuses charges, les services aux entrepreneurs y sont offerts à un prix 3 à 4 fois inférieurs à ceux du marché et l’étage événementiel s’offre le luxe d’une programmation ambitieuse et participative.
Des lieux hybrides à la fois “intérieur” et “extérieur” à l’entreprise.
Le Mab’Lab comme prototype de lieu métamorphes a donc tiré parti d’un espace aux caractéristiques très communes au profit d’un espace d’échange hors du commun. Sa réplication offre de nouvelles perspectives dans le monde de l’entreprise et dans les collectivités :
- dans l’entreprise, l’espace dédié à la cantine pourrait tout aussi bien accueillir ses employés, que des freelances et des entrepreneurs. Il deviendrait un lieu hybride à la fois « intérieur » et « extérieur » à l’entreprise, où émergeraient des idées et synergies inédites. La journée, des formations pour employés pourraient y être organisées ; le soir, une programmation d’événements (conférences, hackathons, meetup, etc.) pourrait faire de cette cantine un lieu culturel à part entière
- dans une mairie, la cantine du personnel, devenue lieu métamorphe, permettrait d’offrir un lieu de travail aux chômeurs, un lieu d’étude pour étudiants ainsi qu’un espace d’aide et de suivi pour les jeunes entrepreneurs. Il serait possible d’y créer un lieu de sociabilisation, de partage d’expériences et de compétences au bénéfice des administrés et de la dynamique urbaine.
A nous de faire plus avec moins
Face à la raréfaction des ressources foncières et financières et au besoin de rendre la ville plus intelligente et plus efficiente, il devient nécessaire pour les acteurs de la fabrique urbaine de s’intéresser à cette approche. Car si les lieux monofonctionnels resteront la norme encore longtemps, la ville de demain ne peut pas faire l’économie des solutions low-tech offertes par l’approche urbaine métamorphe. La seule limite à l’expansion du concept reste la volonté politique des citoyens, des entreprises et des acteurs publics.
(Article paru dans Medium)
Est ce que cette forme de création de lieu tiers métamorphe peut-être autonome financièrement sans nécessité de subventions publiques ? est ce que ce type de lieux tiers permet de disposer de tous les outils bureautiques de haut niveaux nécessaire au start-up et autres jeunes pousses ?
Le manager du Ma’ Lab est rémunéré par qui et combien ?
Bonjour,
Pour le Mab’Lab, l’argent public a servi aux aménagements (panneaux anti-son, prises électriques, etc.) mais ne finance pas le fonctionnement.
Concernant les outils de bureautique, je dirai que tout dépend des choix du maître d’oeuvre. Nous, on a parié sur une fibre dédié, imprimante, scanner, photocopieurs et réseau wifi pro mais chacun apporte son ordinateur. On aurait pû décider d’avoir 3, 4 ordinateurs en libre service mais on a fait le choix budgétaire de ne pas le faire.
Concernant ma rémunération, elle est dans les standards du métier et financé par les abonnements des coworkers.
La gratuité de location de l’établissement couplé à un service assurée par seulement 1,2 ETP permet une baisse des coûts très nets.
On est sur un modèle économique ou la quantité de coworkers compense la baisse de prix : la taille du lieu et ses 200 places nous permet d’avoir une viabilité tout en offrant un tarif vraiment démocratique (ex. de tarifs : 2 entrepreneurs + 2 stagiaires = 128,5€/ht par mois pour toute l’équipe).
Après comme ce type de tarif ouvre le coworking à des profils d’entrepreneurs/micro-entrepreneurs à faible budget, il a une utilité sociale qui justifie que les pouvoirs publiques investissent car ça répond au besoin d’égalité des chances entrepreneuriale de leur territoire. Mais comme montré dans l’article, cette solution permet aussi d’envisager du corpoworking sans forcément un projet social.
Il est clair que c’est une bonne idée de faire vivre un lieu de différentes façons. Cela permet de dynamiser la ville et/ou le quartier. C’est pour cette raison que chez Coworkcity Alfortville, nous proposons un espace de travail en journée et des animations en soirée (privatisation par des entreprises, indépendants ou associations). En ce moment beaucoup de thématiques autour du bien-être pour nos soirées.