L’âge du faire, ces hackers qui bouleversent le monde du travail
Michel Lallement, sociologue, a mis en évidence la manière dont les hackers, et les makers, développent une culture du « faire », avec ses codes, ses règles et son histoire. Un mouvement qui influence le travail de demain dans les entreprises.
» Un hacker c’est quelqu’un qui bidouille des trucs » et pas seulement des geeks, témoigne Michel Lallement, sociologue, professeur du CNAM qui a passé un an, d’août 2011 à août 2012 au milieu des hackers. Il a réalisé une « observation participante« , dans le hackerspace de Noisebridge à San Francisco et auprès des hackers du nord de la Californie.
Un an parmi les hackers, ceux qui font, et non pas parmi les crackers (pirates), différence sur laquelle Michel Lallement insiste dans tout le livre. Un mouvement qui prend sa source en Californie à la fois dans l’industrie informatique et dans la contre-culture libertaire des années 60 et s’incarne dans des lieux divers.
Qu’ils s’appellent hackerspace, fablab, makerspace, tech shop, ces lieux sont à peu près équivalents. Ils sont constitués de presque tout les mêmes éléments : organisation ouvertes de personnes menant à bien des projets de fabrication (électronique, informatique, travail du bois, du plastique ou du métal mais aussi couture ou cuisine) ; un lieu physique où les membres partagent des ressources (machines, connaissances, WiFi…) ; une association sans but lucratif gérée collectivement ; enfin, un lieu incarnant les valeurs des hackers (libre coopération, refus de la hiérarchie, importance conférée à la do-ocratie, le pouvoir du faire, principe de gouvernance qui donne l’avantage à l’action).
Le nombre de ces lieux, en forte expansion, a largement dépassé ses berceaux origine, la Californie pour les maker-spaces et la côte Est des Etats-Unis (MIT) pour les fablabs. En 2012, 47% des hackerspaces étaient situés en Europe et 38% aux Etats-Unis : même succès que le coworking.
A la recherche du sens du travail
Le but de l’étude de Michel Lallement était de chercher si le travail et son organisation pouvaient fonctionner autrement, pouvaient de transformer. Une recherche « d’utopies concrètes » qu’il avait entamé il y a quelques années avec son travail sur l’entreprise fouriériste Godin.
Le livre nous fait découvrir les racines historiques du hacking et des hackerspaces et analyse aussi les tensions et les oppositions du monde des hackers. Nous nous concentrerons sur ce que » faire » signifie et en quoi cette pratique bouleverse nos représentations du travail.
Ce qui s’invente dans ces lieux bouscule notre façon de regarder le travail. « Tout le monde s’accorde aujourd’hui« , explique Lallement, » pour dire que le travail est une espèce de condensé paradoxal entre plus d’autonomie conférée aux gens et une contrainte de plus en plus forte ».
L’auteur identifie une éthique du travail des hackers, un modèle alternatif au modèle classique des entreprises :
- quand un hacker fait quelque chose c’est qu’il en a envie ; le travail doit être de la passion, du plaisir
- un hacker est quelqu’un d’efficace et par voie de conséquence on peut créer une méritocratie des hackers fondée sur l’efficacité technologique
- si on fait quelque chose cela doit être beau
- on travaille avec qui on a envie, la coopération est libre, on n’a pas de chef.
Au cours d’une série de 80 entretiens, Michel Lallement a observé que souvent les hackers possédaient des parents avec un profil technique et une sensibilité artistique. Pas étonnant que le « beau » soit une valeur du travail des hackers. Mais avec des cursus non conventionnels, les hackers sont plutôt « à l’écart des normes d’excellence scolaire ». Brillants sur le plan intellectuel mais qui « sortent des cases » et veulent retrouver une liberté de penser, d’étudier, de bidouiller que n’offre pas l’université.
Les makers bousculent notre regard sur le travail
D’ailleurs ce qui est frappant dit Lallement c’est d’observer que les gens qui viennent dans les hackerspaces sont « seuls en groupe ». Ils ont un rapport au travail, mélange d’individualisme et de demande de collectif. Un enjeu pour les entreprises. Les makers montrent la voie d’un « nouveau rapport au social », à la fois de respect de la « bulle individuelle » tout en trouvant les moyens de faire du collectif.
Une seule règle dans ces lieux : pas de règle. On est chez les anarchistes. En réalité, des milliers de règles sociales sophistiquées régulent la vie de Noisebidge et de beaucoup de hackerspace selon deux principes : quand on prend des décisions on le fait au consensus avec un savoir-faire très fin de la production de ce consensus (avec une bible de 120 pages) ; est légitime celui qui fait (do-ocratie).
On notera également que les hackerspsaces sont des organisations auto-apprenantes dans lesquelles l’entraide bienveillante est la règle. Des formations sont spontanément proposées dans le lieu par les membres. De quoi faire rêver les responsables formation de nos entreprises.
Le livre de Michel lallement est un livre indispensable pour tous ceux qui réfléchissent à l’avenir des organisations de travail. Moins apologique que celui de Chris Anderson, Makers, la nouvelle révolution industrielle, il est quand même enthousiaste sur la dynamique des hackers. Même s’il est lucide. Ce n’est pas un nouveau paradis qui s’annonce, ce monde de hackers n’est pas un » monde de bisounours« . Michel Lallement a évidemment relevé des tensions, des hiérarchies cachées, des difficultés organisationnelles. Mais aucune dont le groupe ne puisse venir à bout.
L’âge du faire Hacking, travail, anarchie, Michel Lallement, éditions du Seuil, 448 pages, 25 euros.
Ressources complémentaires
- » Le mouvement Faire cherche à redonner un rapport positif au travail » Atelier de l’emploi de Manpower
- » Les hackers veulent transformer le travail en un geste artistique « , Usine digitale
- » A Noisebridge, est légitime celui qui fait « , Makery
- » L’âge du faire « , podcast de la conférence de Michel Lallement à l’Université populaire du Havre
(Photo : panneau dans le hackerspace de Noisebridge – Liz Henry)