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Le télétravail, symptôme d’un changement de société ?

Depuis les années 70 jusqu’à récemment, le télétravail était considéré comme une sorte d’OVNI dans l’entreprise, soutenu par une secte de fidèles qui y voyaient une source de progrès pour les entreprises. C’était le temps de l’audace et de l’innovation pour quelques pionniers. Depuis, le télétravail pourrait être le symptôme d’un changement de société.

Le paradoxe du télétravail

A l’époque, le télétravail faisait l’unanimité dans l’entreprise : « Cela ne marche pas ». De leur côté, les syndicats y voyaient un retour aux pratiques sociales du XIXe siècle et du travail à la tâche (mal payé) à la maison.

C’était le temps de la grande indifférence, de l’incompréhension et des idées reçues.

Le mot même de « télétravail », monstre linguistique gréco-latin, reflète cette époque et l’horizon indépassable de la télématique-que-le-monde-entier-nous-enviait. Télétravail sentait encore bon la Datar et la Direction générale des télécommunications – qui allait devenir France Telecom/Orange – et les colloques au sénat.

L’entreprise française était hiérarchique et cloisonnée et le management était presque partout placé sous le signe du contrôle.

Puis vinrent l’ordinateur pour tous et le haut débit presque partout. Les outils et les usages changèrent, pas les mentalités des dirigeants.

Le monde du travail se scinda alors en deux.

Monde visible vs changement invisible

Dans le monde visible, on continue à mener des combats archaïques. On essaye de faire des lois pour favoriser le télétravail, on promet beaucoup d’argent public pour développer le télétravail. Et on organise toujours des colloques au sénat. La nouveauté c’est qu’on commence à y voir des ministres. Un signe positif : les politiques sont des renifleurs de tendance au nez souvent fin.

Dans ce monde visible, la DRH d’un grand groupe technologique (qui est naturellement bien placé pour mettre le télétravail en place) refuse de négocier un accord télétravail car alors « elle ne pourrait plus refuser les demandes de télétravail».

Dans le monde invisible de l’entreprise en revanche, dans celui des ses sous-traitants et de leurs prestataires, on ne cause pas télétravail, on le vit. Pas toujours de manière bien encadrée mais on le fait quand même. Vive le télétravail gris qui s’ignore.

On télétravaille sans rien demander à personne, sans même en avoir conscience parfois. On se connecte à sa messagerie à distance, on partage un fichier depuis l’ordinateur de la maison, on continue à travailler depuis son domicile les jours de grève ou de neige. On est prêt pour une pandémie grippale pendant que les entreprises de grattent le crâne pour rédiger leur « plan de continuité de l’activité ».

Le cadre allonge son week-end en emportant son ordinateur portable dans sa résidence secondaire ou en vacances. Pas pour buller, juste pour travailler sans devoir aller au bureau.

On ne télétravaille plus. On collabore à distance, on échange, on court-circuite, on utilise des outils inaccessibles dans l’entreprise.

Aucun esprit révolutionnaire ni frondeur dans ces pratiques. C’est comme cela, on invente les usages grâce à la technologie sans cesse renouvelée sans en faire toute une histoire.

Dans le monde invisible, on met en place l’entreprise étendue en réseau comme M. Jourdain : l’entreprise 2,0 c’est naturel.

La société change en profondeur

On aspire à une vie plus harmonieuse dans laquelle la frontière travail-vie privée est floue. Et comme on le peut, on choisit son lieu de vie plutôt que le subir pour travailler le plus près possible de son lieu d’habitation.

Dans ce monde invisible, on en a ras-la-casquette du métro-boulot-dodo et de sa variante banlieusarde, auto-boulot-dodo. On trouve stupide de perdre tant de temps et tant d’argent chaque jour pour se rendre sur son lieu de travail. On ne supporte plus de polluer autant pour travailler et on veut mettre son mode de vie en accord avec ses idéaux.

Dans le monde visible on installe encore des systèmes de contrôle de présence. Plus modernes que la vieille pointeuse dans l’usine, mais du même acabit. On contrôle et on mesure le temps de travail car c’est ce qu’on achète au salarié.

Même si chacun sait que, paradoxalement, il est plus facile de faire semblant de travailler dans l’entreprise qu’en télétravail.

Dans le monde invisible, on sait que la valeur d’un travail ne dépend pas de sa durée d’exécution ni de la manière de l’accomplir. On travaille donc par objectifs et l’on sait que la confiance est plus efficace que le contrôle.

Le phénomène devrait même s’accélérer avec les jeunes de la fameuse Génération Y qui vont, dans peu d’années, arriver dans ou autour des entreprises.

Sous le télétravail, la plage

Le télétravail traduit ce changement profond de l’entreprise, de l’organisation du travail et de nos modes de vie.

Assez de combats d’arrière-garde donc.

Plutôt que de vouloir freiner le développement de ces nouvelles formes d’organisation du travail, laissons les salariés libres d’organiser leur vie.

Quant aux indépendants, ils n’ont pas attendu le législateur pour travailler à distance et même pour s’organiser en réseau.

Accompagnons ce mouvement pour qu’il se propage dans de bonnes conditions pour les salariés (garanties juridiques, sécurité, accompagnement, formation…) mais aussi pour les indépendants et pour les entreprises. Ce sera plus efficace que de refuser de voir ce changement de fond dans la société.

(Merci à Christophe pour l’illustration tirée de sa présentation à Autrans)

Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

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