Télétravail

Le travail à distance c’est possible, Gauthier Toulemonde l’a pratiqué depuis une île déserte

Entretien avec Gauthier Toulemonde, chef d’entreprise et baroudeur. En octobre 2013, il s’est isolé 40 jours sur un ilot indonésien de 700 sur 500 m, pour faire la promotion du travail à distance et de l’énergie solaire. Une aventure qu’il raconte sur son site web et dans un livre, Robinson volontaire : de l’open space à l’île déserte qui vient de sortir.

Zevillage : L’origine du projet c’était de prendre des vacances sur une île déserte ?
Gauthier Toulemonde : Non, c’est un rêve que je porte depuis l’enfance et je crois que c’est celui de beaucoup de gens. En 2005 quand j’ai rejoint Jean-Louis Etienne sur l’ilot de Clipperton j’ai vu des scientifiques qui arrivaient à travailler à distance en totale autonomie énergétique grâce au solaire. Cela m’a confirmé qu’il était possible de tenter l’expérience.

Gauthier Toulemonde, son chat, sorn ordinateur et ses batteries

Je suis parti pour prouver que le télétravail est possible depuis n’importe où. Je n’avais pas de Vendredi sur mon île, je n’ai donc pas coworké mais j’ai juste télétravaillé.

Attention survivre et travailler sur une île avec pratiquement rien à manger à part du riz est difficile. Le paradis est souvent proche de l’enfer d’autant que je m’y trouvais au moment de la saison des pluies. J’ai eu pratiquement toutes les nuits des orages d’une grande violence, des tempêtes, j’étais en vigilance orange ou rouge bien souvent.

Il fallait chaque jour réparer ce qui avait été endommagé durant la nuit et retirer l’eau de la tente où était logé le matériel électronique. Je dormais dans un simple hamac protégé par une bâche. La logistique et la bonne tenue du camp viennent se rajouter au travail de bureau.

Cela dit les galères sont oubliées grâce aux moments exceptionnels et uniques que l’on peut vivre dans un cadre naturel aussi merveilleux.

Zevillage : Quels étaient vos moyens techniques pour travailler à distance ?
Gauthier Toulemonde : Je suis parti avec un ordinateur, un de secours, quatre panneaux solaires, deux batteries de la société suisse Iland solar, un téléphone satellitaire Iridium et un Thuraya (capteur d’Internet). Mais comme les communications coûtent cher, on a beaucoup utilisé le mail, près de 2×800 en 40 jours.

En revanche il existe de nombreux endroits isolés dans le monde où il y a du réseau permettant d’acheter sur place une carte à un prix abordable. Les technologies permettent de rester connecté au monde. Sur une île déserte on alterne entre isolement et grande solitude.

Toulemonde sur son ile deserte

Zevillage : Votre entreprise gère deux publications, comment fait-on pour les manager depuis une île déserte ?
Gauthier Toulemonde : L’entreprise compte 9 salariés et toute l’activité a pu être gérée à distance. Pendant mon séjour nous avons bouclé deux numéros de Timbres magazine et un de l’Activité immobilière.

Je pratiquais déjà le télétravail entre Lille et Paris et certaines personnes de la société en font de même à partir de chez elles un ou deux jours par semaine. Avant mon départ, nous avons identifié les problèmes liés à mon éloignement. Par exemple qui allait signer les chèques etc. ? J’ai donc donné une délégation de signature à deux salariés. J’ai aussi nommé un président provisoire au cas où j’aurai un grave problème. Il n’y a pas de travail à distance sans confiance.

Il se trouve que nous étions en phase de notation de l’entreprise par la Banque de France. J’ai préparé mon dossier comme si j’étais à Paris.

L’isolement (j’étais à 11 000 km de mon bureau, avec 6 heures de décalage horaire) pose des problèmes. Ainsi il faut faire attention à l’interprétation des mails que l’on reçoit. On est seul, sans personne pour modérer cette interprétation, il faut être vigilant pour ne pas s’emballer.

L’île bien que belle et sauvage s’identifiait certains jours à un vaste bureau. Il ne manquait plus que les armoires métalliques et les tiroirs à dossiers suspendus ! Il n’y avait pas de rupture entre lieu de travail et lieu de vie. Je n’avais pas d’île secondaire à proximité pour partir en week-end !

Zevillage : Vous donneriez des conseils pratiques à ceux qui sont tentés par une aventure comme la vôtre?
Gauthier Toulemonde : Ce qui compte c’est le mental pour tenir et être bien préparé, ne serait-ce que pour les aspects techniques. Dans Robinson volontaire de l’open space à l’île déserte j’aborde le travail à distance et donne des conseils aux futurs Robinson.

Une annexe est consacrée au retour d’expérience au sein de ma société ainsi qu’un guide technique pratique : type de panneaux solaires et batteries, téléphonie, matériel et outillage indispensables, valise médicale (très important, sur une île déserte, pas de médecin et de pharmacie !).

Zevillage : Comment avez-vous géré la relation vie privée/vie professionnelle, si cette différence avait un sens là-bas ?
Gauthier Toulemonde : Je devais tenir compte du décalage horaire, des conditions climatiques et m’obligeait à une certaine discipline. Sous les tropiques à certaines heures, le cerveau à tendance à ramollir. Je prenais mon petit-déjeuner avant le lever du jour afin de profiter ensuite de la lumière naturelle pour travailler et économiser les batteries.

Je restais éveillé de 5h30 à 23h00 avec des temps de pauses de quatre heures au total.

J’ai peu utilisé Skype tant avec le bureau qu’avec ma famille pour des raisons de coûts mais pas seulement. Lorsque l’on arrête la session, on se sent très seul alors qu’un mail sympa, on peut le relire.

Gauthier Toulemonde teletravail depuis son ile déserte en Indonésie

Zevillage : J’ai vu sur les photos de votre site web que vous n’étiez pas tout à fait seul. Vous comptiez les mêmes amis qu’un télétravailleur « normal », des chats.
Gauthier Toulemonde : J’avais appris par le témoignage d’une personne qui avait fait un repérage pour mon compte durant 24h que l’île était infestée de rats. Ce qui pouvait poser des problèmes pour le matériel. J’ai donc décidé de venir avec des chats que j’ai dû… louer. Efficace car les rats sont restés à distance.

J’avais également un chien, fidèle compagnon et qui m’a été d’un grand secours lorsque des personnes indélicates débarquèrent. Tous ont fait du bon boulot pour éloigner également les scorpions, serpents mortels…

Zevillage : Vous repartez bientôt ?
Gauthier Toulemonde : Je change à nouveau de bureau en octobre pour un séjour sur une des îles de l’archipel des Chesterfield en Nouvelle-Calédonie. La première terre habitée est à 550 km. Pas de pirates, j’aurai la paix. L’objectif est d‘effectuer des relevés de la faune (oiseaux et tortues marines) pour le compte de scientifiques, en plus de mon travail habituel.

Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

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