Ceci n’est pas du télétravail mais du confinement
Qui l’eut cru : un virus microscopique a poussé massivement en quelques jours les salariés à télétravailler, y compris ceux qui ne le souhaitaient pas ou les entreprises récalcitrantes. Mais tout ceci n’a pas grand chose à voir avec le télétravail, c’est d’abord du confinement. Avec quelques bénéfices quand même, pour la transformation des organisations et la transition digitale.
Ceci n’est pas du télétravail
Le confinement de la population à compter du 17 mars 2020 à 12 h a poussé du jour au lendemain des millions de salariés en télétravail obligatoire, confinés à domicile. Mais tout était réuni pour échouer : télétravail à plein temps alors que les bonnes pratiques préconisent de ne pas dépasser 3 jours par semaine (avec une moyenne française de 1,2 jour/semaine) ; télétravail obligatoire et non pas sur la base du volontariat comme le prévoit la loi. Et, par dessus le marché, télétravail avec des enfants pour les plus chanceux !
Un situation telle que, le 2 avril, la CFDT-Cadres (l’un des meilleurs connaisseurs du télétravail) publiait un communiqué de presse pour alerter les entreprises sur ce télétravail mis en place dans l’urgence :
« Des points de vigilance s’imposent : maintenir le lien individuel et collectif, fournir un équipement adéquat, adapter la charge de travail et les échéances – un environnement, confiné avec sa famille, permet rarement une efficacité à 100% -, garantir les plages de déconnexion, limiter au maximum l’intrusion et la porosité tout en étant ouvert aux marges de manœuvre pour les salariés… »
Après 2 semaines de confinement, Deskeo, l’opérateur de bureaux partagés, a réalisé une enquête avec Buzzpress, sur l’état du télétravail en confinement.
Sans surprise, 76% des télétravailleurs (79% des femmes et 73% des femmes) disent regretter leur bureau. Un manque de socialisation évident car pour conserver un lien social avec leurs collègues, 74% des sondés ne font… pas grand-chose. A peine 1% organisent des pauses-cafés en visioconférence et 29% seulement avouent se téléphoner pour entretenir un lien avec leurs collègues.
Des résultats pas très étonnants vu le cadre de confinement et le manque de préparation au télétravail. Parmi les 70% de primo-télétravailleurs, 89% ont déclaré ne pas avoir l’habitude de travailler à distance et avoir découvert ainsi le home office.
Il est donc impropre d’imputer au télétravail les difficultés rencontrées par les salariés en travail à domicile puisqu’on n’est pas dans des conditions de télétravail normales.
Le problème c’est le confinement.
Derrière le télétravail, la mutation de l’organisation
Mais alors, est-ce que ce confinement, et par conséquence cette mise en télétravail forcé, nous apprennent quelque chose sur le changement des organisations ?
Est-ce d’une difficulté sortira un bien ?
La véritable difficulté avec le télétravail vient d’un problème culturel interne aux entreprises, rarement de raisons exogènes comme les réseaux ou les outils.
On l’a vu dès les premiers jours du confinement. Beaucoup de témoignages faisaient état de l’absence de consignes claires d’entreprises, d’indécision sur le fait d’autoriser le télétravail ou pas et même, carrément le refus du télétravail.
Coronavirus. Refus de télétravail, congés imposés : les syndicats alertent sur les abus d’employeurs https://t.co/7mRfAqpTQO
— Ouest-France (@OuestFrance) March 19, 2020
Cela fait 25 ans (en France) que le sujet du télétravail est sur la table. Depuis le début on connaissait les avantages et les méthodes de ce mode d’organisation, même avec les outils de l’époque. Mais, aujourd’hui encore, de nombreuses entreprises refusent le télétravail à leurs salariés. C’est grave ?
Oui, ne pas favoriser le télétravail dans son organisation est grave parce que c’est un symptôme de management archaïque, plus adapté au contexte actuel.
Il n’est qu’a voir la crispation de la RATP qui, en pleine crise du coronavirus, refuse le congé pour garde d’enfants à ses salariés télétravailleurs ou conjoints de télétravailleurs. Et, au passage, la réaction rigide du délégué CGT qui dénonce la situation.
Refuser le télétravail c’est le symptôme d’un refus de manager ses salariés par la confiance, avec des méthodes modernes d’évaluation par objectifs. C’est refuser de voir que le contrôle du temps de présence n’est plus un moyen efficace de contrôler la quantité et la qualité du travail. C’est obliger ses salariés à subir le métro-boulot-dodo.
Refuser le télétravail c’est se priver de talents éloignés du bureau ou de jeunes talents qui ont des attentes de qualité de vie au travail faite de flexibilité et d’autonomie dans l’organisation de leurs journées.
Refuser le télétravail c’est une erreur (une faute ?) stratégique car c’est le refus d’adapter son entreprise à un monde qui exige souplesse, réactivité, flexibilité.
Après un mois, deux mois peut-être, de confinement, les salariés et les managers auront appris, cahin-caha, à collaborer à distance, à travailler à distance, à conserver malgré tout un collectif de travail. Et cela dans les pires conditions possibles. Or, qui peut le plus peut le moins : si on l’a fait en confinement, on pourra le refaire dans de bonnes conditions ensuite.
Et que se passera-t-il après le confinement ? Prise de conscience ou déni de réalité ?
Il est probable qu’une partie d’entreprises et de salariés désorganisés par le confinement assimilent le télétravail au chaos de leur organisation. Et donc se raidissent encore plus : « Vous voyez bien, le télétravail cela ne marche pas ».
Mais il est probable aussi que la crise du coronavirus et le confinement engendre une grande attente, une grande espérance de changement radical et rapide des organisations de travail. On l’a fait donc c’est possible.
Et le virus aura donc été le cygne noir que nous annoncions en février dernier.
Nous le saurons vite. Et l’on a tout de même quelques signaux positifs, chez les directeurs administratifs et financiers par exemple.
Derrière le télétravail, la transition numérique
Le télétravail comporte un volet technique (réseaux, outils, sécurité) et un volet culturel, une démarche globale que l’on nomme en général Transition numérique. Un sujet posé sur la table depuis dix ans et qui donne lieu à un gros business de consultants.
Là encore, le confinement a balayé toutes les méthodes d’accompagnement graduelles à la transition numérique. Et les télétravail ont déployé des trésor d’imagination dans l’auto-organisation.
https://twitter.com/Gautier_____/status/1246486168755208192?s=20
Côté technique, en une semaine, tous ceux qui étaient réticents à utiliser des outils de collaboration à distance ont appris vite fait à monter des apéros-Skype ou des réunion familiales sur Zoom comme le constate Yann Gourvennec dans un article sur la transformation digitale avec le coronavirus (je vous recommande la vidéo d’Arnaud Demanche dans l’article).
Et il a même retrouvé une explication à la lenteur de conversion des entreprises, tirée du Macroscope, un livre de Joël de Rosnay de… 1975. :
« Voilà qui est dit. Un lent processus de prise de conscience, avec un besoin de formation aigu.
Mais ceci ne se réalise pas vraiment dans les salles de classe. Le travail collaboratif et « la société interactive » décrite par de Rosnay ne sont pas que des outils ni des recettes à apprendre par cœur (cela est d’ailleurs impossible tant ces outils changent vite), mais bien une question de vision du monde, d’apprentissage de l’horizontalité.
Un exercice pas si facile que cela, car il exige au préalable la maîtrise de l’autonomie (et du côté du management, celui de la confiance, comme le souligne à juste titre l’auteur). »
Transition numérique accélérée, prise de conscience de son pouvoir, de son autonomie et du partage de savoir accéléré provoquent déjà des petits miracles dans les organisations.
Comme par exemple ce partage de bonnes pratiques dans le traitement du coronavirus par le CHU de Nîmes qui a mis au point une méthode qui demande moins de soignants pour retourner les malades.
Bonnes pratiques du télétravail en confinement
Il ne s’agit pas de faire de l’angélisme ni d’annoncer comme une réalité un futur qui nous ferait plaisir. Notre sentiment à Zevillage c’est que l’on peut transformer la catastrophe du coronavirus, et son corollaire du confinement, en grande opportunité.
En attendant, si vous peinez toujours à vous organiser en télétravail confiné, nous vous proposons notre petit Guide du télétravail pour survive au confinement. Et un guide (en anglais) du management distance des salariés.