Rejoins tes camarades freelances et indépendants dans le syndicat !
Entretien avec Hind Elidrissi, créatrice de Wemind, société de services d’assurance pour travailleurs indépendants, également confondatrice du 1er syndicat d’indépendants, Independants.co, lancé il y a quelques semaines par un manifeste. Derrière cette initiative, le constat d’un profond changement du monde du travail et des nouveaux besoins de protection sociale chez les indépendants et freelances.
Zevillage : C’est toi qui est à l’origine du syndicat indépendants.io ?
Hind Elidrissi : les cofondateurs, c’est Antonin Léonard, fondateur de OuiShare et Stroïka et moi-même qui suis la co-fondatrice de Wemind.
Zevillage : Pourquoi vous avez décidé de vous lancer ?
Hind Elidrissi : On a tous les deux une expérience, associative et professionnelle, dans l’accompagnement des indépendants. Et on a observé qu’aujourd’hui il existe une rupture dans le travail indépendant qui est en train de changer de nature.
Et donc, il y a besoin de repenser la chose dans sa globalité. Et il y a deux aspects qui sont très particuliers : la question de la protection sociale des indépendants et la relation d’indépendants de plus en plus nombreux qui travaillent avec des plateformes. Or, ces deux enjeux étaient « sous le radar » de tout le monde. Et nous pensons que ces deux enjeux-là ne peuvent être traités que par un syndicat.
Pour pouvoir évoluer sur ces questions-là, il faut d’abord qu’il y ait une prise de conscience des gens concernés. Donc, au lancement d’Independants.co on avait prévu d’inciter les indépendants à venir s’inscrire dans ce nouveau syndicat et de traiter les nouveaux sujets qui arrivaient.
Un mois après le lancement, on subit une crise économique qui démontre effectivement que l’absence de protection des indépendants, notamment en période de crise, est un énorme problème.
Zevillage : Tu disais que monter un syndicat était indispensable parce que la nature du travail indépendant changeait. Elle change comment ?
Hind Elidrissi : Le premier changement, c’est la protection sociale. Elle a été pensée dans l’après-guerre, au même moment que la protection sociale des salariés, à une époque où les indépendants étaient, globalement, des artisans, des commerçants, des professions libérales et des agriculteurs.
Et en fait, la protection est désormais déficiente. Elle est liée à des professions où dans les années 40-50, il n’y avait pas besoin de protection. Tout l’objectif était alors de se bâtir un capital pour sa retraite.
Aujourd’hui, on est dans une situation très différente. Par exemple, un développeur informatique va très bien gagner sa vie parce qu’il a une compétence qui est rare sur le marché. Il peut vendre des prestations de services assez intéressantes, mais, en revanche, il ne va pas pouvoir revendre tout le code qu’il a écrit toute ta vie pour partir à la retraite.
Le problème, c’est que les indépendants bénéficient de la protection sociale telle qu’elle a été conçue dans l’après-guerre, c’est à dire avec un schéma de pensée complètement différent, une économie qui fonctionnait complètement différemment. Il faut donc adapter la protection sociale au changement de contexte.
La protection sociale ce n’est pas une chose que quelqu’un nous donne, c’est quelque chose qui se construit collectivement.
Ensuite, le deuxième sujet, c’est que travail indépendant est de plus en plus intermédié. Et il le sera encore plus avec le fonctionnement des plateformes. Pour le consommateur ou pour l’entreprise, la plateforme Web apporte de la mise en relation, de la facilité à entrer en relation avec des gens qui peuvent apporter un service. Et la manière dont je vais facturer la manière ou dont je vais travailler va être très différente selon que je trouve moi-même le client ou si je passe par une plateforme.
Il y a des métiers aujourd’hui qui sont en train d’être complètement « plateformisés », de différentes façons. Évidemment, on pense au secteur des VTC qui est un peu le secteur emblématique mais il n’est pas le seul et c’est un phénomène qui va concerner de plus en plus de métiers. C’est normal, c’est l’évolution de la technologie et des usages, il ne faut pas le regretter.
Mais cela nécessite que les indépendants, dans ce nouveau système, défendent leurs intérêts et construisent leur protection sociale. Cette protection ce n’est pas une chose que quelqu’un nous donne, c’est quelque chose qui se construit collectivement.
Il y a donc besoin d’une prise de conscience collective de ce qu’on représente en tant que force, de quels sont nos intérêts, dans quelle société on a envie de vivre, qu’est ce qu’on veut défendre.
Pour moi, l’objectif d’Independants.co c’est que les indépendants puissent parler en leur nom, c’est à dire qu’ils puissent acter ce changement de paradigme, de voir qu’on n’est plus dans la même économie, plus dans le même monde. Et aujourd’hui, nos besoins, c’est ça.
Zevillage : Ne penses-tu pas que dans l’imaginaire des politiques on est toujours dans un monde de salariat, sur lequel repose le financement de notre protection sociale ?
Hind Elidrissi : Si bien sûr, et on ne peut pas leur en vouloir car le salariat représente encore 90% de la population active même si la part d’indépendants augmente.
La raison pour laquelle j’ai créé ce syndicat, c’est que je crois à l’indépendance et que je crois à l’entrepreneuriat. On peut être indépendant, fier de l’être et avec des protections adaptées.
Ce que révèlent les études de façon constante, c’est que beaucoup d’indépendants veulent rester indépendants. Je ne nie pas qu’il y a un certain nombre de requalifications en salarié, notamment chez Uber, mais, et c’est tout à fait leur droit. Quand on a des gens qui s’inscrivent chez Independants.co, ce qu’ils nous disent c’est : « Je suis indépendant, je suis fier de l’être et je veux être protégé ».
Quand je discute avec des gens, on me dit souvent : « Non, mais attends, ils sont indépendants, ils sont choisis. Ils n’ont pas, ils n’ont pas à bénéficier d’une protection ». Et bien si. D’autant plus qu’avec mon expérience d’assureur, je sais comment ça fonctionne. La protection sociale c’est décider comment on va être protégé et on finance. C’est une des grosses contrevérité. Penser que puisqu’ils sont indépendants, ce qui est déjà hyper courageux de leur part, ils n’ont qu’à se débrouiller tous seuls tout le temps. Et bien non. Si eux disent qu’ils veulent être protégés. Il faut qu’on crée les conditions pour que cela soit possible. Mais après, comme ce sont des indépendants, il faut quand même leur demander leur avis. Il ne faut pas le faire dans leur dos.
Zevillage : Est-ce la difficulté avec les indépendants qui sont par nature des individualistes n’est pas de leur faire comprendrent qu’il faut une démarche collective ?
Hind Elidrissi : Non, franchement, je ne pense pas. On a récupéré chez Independants.co plus de 20 000 emails en un mois. Donc, on a quand même quelque chose qui intéresse les travailleurs indépendants.
Si tu vas dans le groupe Facebook du syndicat, les gens sont hyper-actifs et ils disent : « Je suis suis dans mon coin, mais ça m’intéresse d’avoir accès à des services. Il y a des choses qui relèvent de moi. Il y a des choses qui relèvent du collectif ».
Mais c’est aussi à nous de bien expliquer, de donner envie. Aujourd’hui, je vois qu’il y a vraiment un engouement qui va être de plus en plus fort et surtout, dans un contexte de crise. On voit bien qu’il n’y a aucune entreprise aujourd’hui, pas même une grosse entreprise, qui peut dire : « Moi je bosse tout seul, salut les gars ».
Pour que cela fonctionne, il faut vraiment que les gens aient des droits. Il faut qu’il y ait un certain niveau de réglementation qui permette cela. Et il faut aussi faire évoluer les régimes obligatoires.
Zevillage : Quand tu as créé Wemind, c’était le même constat que ces prestations n’existaient pas pour les indépendants ?
Hind Elidrissi : Oui, mais aussi le constat qu’on pouvait utiliser la technologie. On a créé des produits adaptés aux indépendants, puisqu’on a été les premiers à créer une garantie logement, par exemple. On couvre aussi en santé, avec des garanties qui sont équivalentes à celles des entreprises. il n’y a pas beaucoup de services qui font cela et on le fait avec la technologie, tout 100% en ligne.
Mais mon constat était que si on voulait proposer des avancées pour les travailleurs indépendants, une entreprise ne suffisait pas. Avec une entreprise, on n’a pas la possibilité de changer les règles du jeu. On a juste la possibilité de proposer des produits, ce qui est déjà bien.
Pour que cela fonctionne, il faut vraiment que les gens aient des droits. Il faut qu’il y ait un certain niveau de réglementation qui permette cela. Et il faut aussi faire évoluer les régimes obligatoires.
Donc, c’est pas que c’est pas qu’avec des entreprises que l’on peut résoudre ces questions-là. Je distingue bien les deux sujets. D’un côté Wemind est une société de services qui permet de mutualiser et d’accéder à des protections facultatives. De l’autre, le syndicat a pour objectif de faire avancer les droits des indépendants et leur place dans la société. C’est complémentaire, évidemment, mais séparé. Et juridiquement d’ailleurs, les deux activités sont complètement séparées, elles n’ont pas la même gouvernance, pas le même financement et pas le même fonctionnement.
Tellement nécessaire… de rééquilibrer la protection sociale en tenant compte des petits indépendants… qui prennent des risques et sont les immédiates victimes de la crise actuelle, par exemple. Est-ce juste d’être pénalisé (traduisez : « moins protégé ») parce que nous avons un statut indépendant ? Pendant des années, nous créons de l’économie et alimentons la sécurité sociale… et le jour où nous sommes en difficulté, nous sommes les moins protégés.
Pas plus tard qu’hier, quelqu’un (au statut garanti de fonctionnaire de l’éducation) se plaignait publiquement de recevoir beaucoup de sollicitations d’indépendants qui lui rappellent qu’ils continuer de travailler pendant cette période. Aucune empathie pour ces indépendants qui, du jour au lendemain, voient leur salaire fondre.
Certaines entreprises publiques ont postposé, en mars, le traitement d’appels d’offre au mois de juin ! Alors que ces appels d’offres pourraient, sans problème, être traités à distance. Il s’agit de consulter un fichier PDF et prendre une décision collaborative. Choses faisables à distance, non ?
Résultat : les indépendants sont mis en danger par ceux-là-mêmes qui sont protégés. Mais 90% de l’économie européenne provient des PME et indépendants… que se passera-t-il si nous sommes contraints de déposer le bilan ? Nous viendrons solliciter la sécurité sociale. Et qui l’alimentera ?
Voilà, c’était mon cri, je me calme 🙂