Télétravail

Syndicats et télétravail, la tentation du raidissement?

Notre législation française sur le télétravail trouve ses sources dans un accord cadre européen signé par les partenaires sociaux européens le 16 juillet 2002, il y a tout juste 18 ans. Depuis, les positions syndicales sur le télétravail ont évolué mais restent liées à la culture de chaque confédération. Et puis vint le coronavirus qui changea la donne. Les syndicats vont-ils accompagner ou freiner l’essor du télétravail ?

L’accord européen sur le télétravail du 2002 a été adapté en droit français dans l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 qui reste la véritable bible du télétravail. On trouvait déjà dans ce texte fondateur des principes encore valable aujourd’hui comme le caractère volontaire du télétravail.

Ce texte précisait en particulier que le télétravailleur restait un salarié de plein droit. Ce que la négociatrice Force ouvrière de l’ANI résumait par une phrase célèbre, « Le télétravailleur est un salarié à part entière et non pas entièrement à part », comme le rappelaient Nicole Turbé-Suetens et Pierre Morel à L’Huissier dans leur livre en 2010.

Syndicats et télétravail : pas de front uni avant le coronavirus

Les syndicats (MEDEF, CGPME, UPA, CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT-FO, CGT) unanimes sur ce texte de l’ANI ont toutefois des positions variables sur le télétravail qui vont de l’enthousiasme raisonné à l’opposition, en passant par le soutien du bout des lèvres. Question de culture syndicale.

Par exemple, même si la CGT reconnaît certains bénéfices au télétravail, elle le fait dans son contexte idéologique de lutte des classes : «  L’obligation de négocier l’encadrement de toute forme de télétravail au regard des aspirations des salariés et de l’efficacité du travail, doit être la règle pour mettre fin au dévoiement qu’opèrent le Medef et une partie du patronat qui n’y voient qu’un outil supplémentaire de surexploitation » lit-on sur le site de la CGT-UGICT, l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens.

Même chose pour SUD et l’Union syndicale Solidaires pour qui le télétravail est « une bonne affaire (surtout) pour le patronat ! ».

Jusqu’à la pandémie du Covid-19 on peut dire que les syndicats n’étaient pas très unis sur le sujet du télétravail. Une position assez conforme à la césure syndicats réformistes contre syndicats révolutionnaires. Position d’autant moins unanime que l’on voit parfois sur le sujet des fédérations ou des sections d’entreprises en désaccord (voir dans cet article) avec les positions confédérales.

En mai 2017, comme prévu dans l’article 57 de la loi Travail dite loi El Khomri, la concertation syndicale sur le télétravail, menée par Pierre Berreti (Medef) aboutissait à un rapport qui posait les bases d’une évolution de la législation et d’une éventuelle renégociation de l’ANI de 2005.

Cette concertation allait être suivie en septembre 2017 par « l’ordonnance Macron » qui simplifiait la mise en place du télétravail, supprimait l’obligation de rédiger un avenant au contrat de travail des télétravailleurs et l’obligation d’indemnisation du télélétravailleur.

On en était resté à ce voeu pieux jusqu’à la mise en place obligatoire du télétravail en confinement au début de la pandémie du coronavirus.

Le coronavirus change la donne

Fait nouveau, en 2020, la crise du coronavirus et le confinement ont poussé 3 syndicats réformistes, la CFDT, la CFTC et l’UNSA à diffuser un document commun, Télétravail : préconisations en vue de la reprise d’activité et perspectives à venir (PDF à télécharger). Ce document de mai 2020 actualise les bonnes pratiques préconisées par ces 3 confédérations et qui réaffirme la nécessité d’un dialogue social pour la mise en place du télétravail et énumère onze propositions communes :

  • faire du télétravail un objet de dialogue social,
  • questionner l’organisation du travail pour mettre en place le télétravail qui n’est pas adapté à 100 % des salariés,
  • mener une réflexion sur les postes éligibles,
  • distinguer les différentes formes de télétravail : occasionnel, ponctuel, exceptionnel, imprévu…,
  • mettre en place les modalités d’acceptation du télétravail par le salarié,
  • envisager le télétravail autrement qu’au domicile du télétravailleur en l’ouvrant par exemple aux espaces de coworking,
  • dispenser des formations, associer les managers, s’assurer de l’égalité hommes-femmes pour maximiser les chances de réussite de la mise en oeuvre du télétravail,
  • clarifier la question des outils numériques, notamment la fourniture de l’ordinateur par l’employeur,
  • intégrer les enjeux de santé et de sécurité des salariés,
  • prendre en compte les travailleurs handicapés,
  • étudier la question de la reconfiguration des locaux en y intégrant le télétravail.

Les syndicats veulent renégocier l’ANI de 2005

Face à la crise, la CFDT, notamment, a demandé à renégocier le télétravail. Les 5 centrales syndicales représentatives ont démarré les 5 juin une série de réunions avec le Medef, la CPME, et l’U2P… en visioconférence. Le confinement et l’exemple de PSA qui a annoncé le 6 mai vouloir « renforcer le travail à distance et en faire la référence pour les activités non liées directement à la production » ont relancé les velléités de réouvrir des négociations sur l’ANI de 2005.

Malgré un consensus sur certain points comme le refus du 100% télétravail, la 1ère réunion syndicats/Medef/CPME/U2P, en juin, s’est soldée par un échec : pas d’accord sur la demande de renégociation ni même sur un « diagnostic partagé ».

L’exemple de PSA était dans toutes les mémoires. Un cas isolé en France, monté en épingle alors que le constructeur automobile ne prévoit qu’un maximum de 3,5 jours de télétravail par semaine, à peine une demi-journée de plus que les durées prévues dans les accord de Renault ou d’Orange.

Pourquoi alors cette frénésie syndicale à vouloir renégocier l’ANI ? Personne ne dit que le télétravail doive être la norme ni qu’il doive se réaliser à 100% du temps. Et les deux parties savent pertinemment que le télétravail obligatoire en confinement est un dispositif d’exception limité à la pandémie. Après l’arrêt des mesures d’hygiène, le droit commun s’applique, à savoir l’ANI de 2005, les lois de 2012 et l’ordonnance Macron.

C’est peut-être là que réside le problème. On joue à sa faire peur et la pandémie est juste un prétexte pour renégocier ? La CGT voudrait en profiter pour revenir en arrière, imposer de nouvelles contraintes aux entreprises (délimitation des plages horaires, contrôle du temps de travail, et réintroduire l’obligation d’un avenant au contrat de travail du télétravailleur.

A quoi le Medef répond que le dispositif législatif actuel permet une bonne protection des salariés et laisse toute latitude aux entreprises et aux partenaires sociaux de négocier le contenu des accords (ou charte) télétravail.

Le dernier point de crispation pourrait bien juste être un problème financier comme le précise l’avocat Hervé Tourniquet dans l’Humanité. Une négociation permettrait de prendre en compte la nouvelle (forte) demande de télétravail post-confinement des salariés.

Plus de télétravail nécessite une meilleure installation à domicile pour le télétravailleur. Et des nouveaux coûts : ordinateurs portables, mobilier, indemnité d’occupation du domicile, matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que la maintenance.

Bref du « grain à moudre » pour la prochaine négociation du 11 septembre, selon la célèbre formule de l’ancien patron de Force ouvrière, André Bergeron.

Photo : Lucie Morel sur Unsplash

Xavier de Mazenod

Fondateur de la société Adverbe spécialisée dans la transition numérique des entreprises et éditeur de Zevillage.

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